Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de René Daumal à Jean Paulhan, 1934-10-22 Daumal, René (1908-1944) 1934-10-22 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1934-10-22 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
[20/22 octobre 1934] Cher ami,

merci de votre lettre – enfin. D’ailleurs, je pense qu’on se verra la semaine prochaine ; j’irai sans doute pour quelques jours à Paris.

Merci bien de vous être occupé de moi à l’étage en-dessous : ça s’est très bien arrangé. Si je pouvais encore trouver 1 ou 2 traductions pour cet hiver, ce serait très bien.

Je vous envoie une note sur un chœur américain – comme il va venir à Paris, et qu’il a un agent de publicité sans vergogne, ça peut être bon d’en parler. Vous verrez. Je crois que quand j’aurai fini cette lettre je verrai Lavastine et qu’il me remettra la note sur le Becht

[première page, verticalement à gauche] non – je vous l’apporterai[horizontalement, en bas de la 3e page] La Ferme – 60A, route de Chêne – Genève

(Est-ce que Lettres est cette nouvelle revue dont vous m’avez dit deux mots mystérieux déjà?)

Sur Monsieur Jean, hélas, j’aimerais bien rendre service à R-Dessaignes [Ribemont-Dessaignes], que j’aime beaucoup, mais je m’en sens incapable. Le livre n’est pas bon, entre nous – surtout par rapport aux plus anciens. En dehors de Une foule de détails très bien, c’est vrai – mais dans l’ensemble ça m’ennuie. J’aime mieux n’en rien dire publiquement qu’en dire du mal. Il faut trouver quelqu’autre qui fasse la note – ou quelqu’autre moyen d’aider R-Dessaignes [Ribemont-Dessaignes].

– C’était en effet inutile que la femme de Lavastine apprenne mon adresse, bien qu’elle ait dû l’apprendre depuis, et d’ailleurs ça n’a pas d’ grande importance.Je vous ai dit, je crois, que Mme de Salzmann ne serait fixée à Genève que dans 1 ou 2 semaines – mais elle vient 2 fois par semaine, et le travail continue, toujours nouveau et toujours direct. C’est extraordinaire – c’est hier qu’on a vu ça – de voir une certaine réalité prendre corps, une substance se fermer, des êtres humains se décongeler, s’éveiller comme un bois mort où une poussée de sève miraculeuse va faire éclater des bourgeons. De temps en temps seulement on peut ainsi s’arrêter et regarder le chemin parcouru et les nouvelles voies qui s’ouvrent ; mais ça n’a aucun sens d’écrire de cela. Nous parlerons bientôt (peut-être d’autres choses, mais de ce point de vue). J’aimerais beaucoup aussi que vous me parliez de votre travail. Il me semble qu’une de vos vertus spécifiques comme écrivain soit de faire [rature] passer l’esprit d’une idée à une autre – ou d’une non-idée (creux d’idée) à une idée, ou….. (4 combinaisons possibles) – par des chemins que personne ne prendrait et qu’on aurait jamais pris [rature] sans cela. Cela m’intéresse particulièrement, ces voyages. Mais j’ai pensé soudain : comme ce doit être dur, en effet. Si certaines prémisses que j’établis sont justes, de vos 3 dernières lettres je tire la prévision d’une grande mise en branle de machins rotatoires dans votre jeu de boules intellectuel et des gibiers nouveaux dans votre jungle.

Pour moi, j’écris une Vie des Basiles (je vous expliquerai qui ce sont) : une toute petite chose pour la revue Présence que j’essaie de contaminer (au Bacillus Subtilis Basileus ) – et de temps en temps j’ajoute quelques pages à La Grande Beuverie, qui formera peut-être un tout lisible quand je vous verrai.Audiberti ? Un beau poème ? Y a pas que lui. Tenez, par exemple, il n’y a même pas six mois, j’ai écrit ce quatrain :

Cet abbé qui ditle Benedicite Est abasourdipar son abscondité.

J’ai vu Ch.A. [Charles-Albert] Cingria chevauchant une des 50.000 bicyclettes de Genève, mais il fut trop vite hors de portée de voix : il doit être arrivé à la N.R.F., à ce train là.

J’ai eu enfin l’occasion de ne pas rencontrer P.J. [Pierre Jean] Jouve, ayant été averti à temps de son passage.

Bien sûr, je suis prêt à tout risquer pour le B. [Bacillus ?] Subtilis Artis.

Ainsi à bientôt. Je serai bougrement heureux de vous revoir tous deux.

René Daumal

T.S.V.P.

P.S. Il atige un peu, M. Marcel Heraut, dans ses explications rimbaldiques.

Et J. [Jean] Grenier aussi, dans le même genre, quand il loue Mme Bonaparte et son étude sur Poe.

Tout cela est d’un puéril !

ou plutôt c’est toujours : le moindre effort, trouver un système, une machine à penser.

On ne pourrait pas, un jour, traiter tout ça par la trique et le balai ?

Vera vous envoie et à Mme Paulhan ses amitiés

– à mercredi, probablement, ou jeudi –