Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de René Daumal à Jean Paulhan, 1933-07-10 Daumal, René (1908-1944) 1933-07-10 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1933-07-10 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Val-de-Grâce (2me fiévreux)lundi 10 juillet [1933] Cher ami,

comme je l’avais deviné, il m’était impossible de venir dîner avec vous jeudi dernier : j’apprenais ce soir-là que je devais être conduit le lendemain matin à l’hôpital, pour observation (d’une durée indéterminée) et décision sur mon sort – et j’avais juste le temps de bondir chez mes parents pour les prévenir. Ainsi, notre entrevue est encore reculée à un temps inconnu. Mais peut-être que je sortirai d’ici pour ne jamais plus rentrer dans l’armée (sauf en guerre). L’ennui est qu’on ne sait rien ici, jusqu’au dernier moment. Je sais aussi qu’on s’occupe de moi, dans les hautes altitudes hiérarchiques médicales, mais dans quelle mesure, et si les médecins (le professeur Pilod) qui s’occupent de moi sont dans la combine, je n’en sais rien. Si bien que je n’ose pas demander à personne d’intervenir maintenant, de peur de brouiller le jeu. J’attends.

Pas question de sortir. Visites seulement le jeudi et le dimanche, de 1 à 3h. Mais des jardins, des arbres, des fleurs, des oiseaux. L’impatience rôde, mais n’approche pas. L’angoisse, rarement. Un peu de dépression. Surtout, en fait, le plaisir de ne plus avoir à porter de godasses ni de bandes molletières. C’est incroyable. On est habillé comme les fous. C’est conforttable. Si j’arrivais à dormir la nuit et à ne pas tomber de sommeil le jour, ce serait presque agréable. Mais je suis né à 6h½ du soir, il n’y a rien à faire pour changer mon rythme sommeil-veille.

Dans le jardin, c’est on est vite recouvert de coccinelles. Surtout de larves de coccinelles. Il y a un fou qui pousse des miaulements féroces quand il voit un oiseau.

C’est plein d’oiseaux.

C’est comme le Paradis.

le Paradis selon la tradition gaga.

Eh bien. Attendons. Je vous verrai sans doute avant un mois ou deux.

de tout cœur votreRené Daumal

Dernière minute : on m’a transporté à l’hôp. [hôpital] Percy, Pav. [Pavillon?] 4 à Clamart sans explications, jamais !