Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de René Daumal à Jean Paulhan, 1933-01-28 Daumal, René (1908-1944) 1933-01-28 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1933-01-28 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
j'espère que vous vous portez mieux. Je sais que ces combinaisons de maladie, avec douleur vive et fièvre accablante, sont à peine supportables. Mais vous me dites que vous en sortez. Tant mieux.

Merci encore, et toutes mes amitiés

René Daumal
le 28 janvier  [1933] Cher ami,

merci merci infiniment. Comme je vous ai écrit succinctement, vous m'avez permis de sortir d'une assez mauvaise situation ; j'espère ne pas vous avoir donné trop de tourment.

New-York n'est pas absolument détestable. C'est même une ville charmante, et qui suscite l'attendrissement, lorsqu'on est à Philadelphie. Philadelphie est une prison. Une ville où il est impossible de se promener : toutes les rues ont 15 km de long, en ligne droite, à sens unique, et se coupant à angles droits. Au centre, des grattes-ciels idiots, autour des files kilométriques de maisons hollandaises peintes en rouge, en brun, en jaune, avec la perspective indéfinie des identiques perrons ; autour encore des maisons d'ouvriers, en briques, avec le tour des fenêtres et les linteaux des portes blancs, sans toits, à un seul étage, pour plusieurs heures de marche.

Dans la banlieue, rien que des écoles et des universités luxueuses, modernes mais maquillées en villages anglais propres et fades comme le pain-papier américain. Si bien que je pense, d'ici, à New-York comme à mon village natal. Là il y a au moins le Hudson, l'East-River, les docks, les écureuils apprivoisés de Central Park, le G. Washington-Bridge, qui est une grande merveille, les nègres, les chinois, les italiens, les juifs ; il y a toujours la possibilité de prendre le bateau pour Staten-Island et de voir au retour Manhattan tout en or, peu réel, prêt à s'écrouler, calme et comme une grande ville barbare.

Il y a aussi à 75 km de N.Y., au nord, des pays sauvages, des montagnes, des forêts, des cerfs, des daims, des fermes qu'on n'atteint qu'après des heures de marches dans la neige, et où les gens se croient encore des pionniers (quand le week-end est fini, on peut les retrouver – aussi facilement qu'une aiguille dans un tas de foin – entre les banques de Wall-Street, mais ça ne fait rien).

Pour le moment, j'ai découvert les autobus, qui parcourent tout le pays pour des prix très modiques, lentement mais agréablement, aussi j'erre d'une ville à l'autre, en songeant déjà un peu à reprendre un paquebot pour la France, et de Paris un train pour la caserne où l'on m'invite aimablement à prendre un repos peu mérité d'un an. Mais j'irai vous voir à ma prochaine permission.

j'espère que vous vous portez mieux. Je sais que ces combinaisons de maladie, avec douleur vive et fièvre accablante, sont à peine supportables. Mais vous me dites que vous en sortez. Tant mieux.

Merci encore, et toutes mes amitiés

René Daumal