J’étais assez disposé à tout dire à P.P. [Paul Pilotaz], dont je crois bien m’être fait un ami. (Sa femme – qui est non moins charmante – me disait que nos rapports l’influençaient curieusement et heureusement, le libérant d’une forte tendance au repliement sur soi-même.)
Mais les circonstances ne s’y prêtaient pas tout à fait (encore) : durant la deuxième semaine de mon séjour à la Pommeraie, nous avons été très peu seuls, et certains de ses hôtes soit, avaient pris la résistance très au sérieux, soit, étant juifs, avaient souffert de l’occupation. Cela ne m’empêchait pas de sympathiser avec eux – mais m’obligeait tout de même à une certaine réserve.
P. [Pilotaz] viendra prochainement à Paris, où je pourrai lui parler plus librement. (Cela me soulagerait assez : je déteste assumer à mes propres yeux le rôle d’imposteur.)
Je rapporte le manuscrit de La part de ciel (titre définitif du roman de P.P. [Paul Pilotaz]. Je suis chargé de le faire dactylographier, et de vous le transmettre ensuite, pour G.G. [Gaston Gallimard] Il devenu juge et partie…
Vous me parliez de G. [Graham] Greene. Le papier que j’avais fait sur lui pour la Guilde aurait-il paru ? Je n’ai plus reçu ni vu le « Bulletin ».
À la fin du Voyage au pays de la peur , film d’Orson Welles, le héros, qui durant toute l’aventure s’est présenté comme un brave type un peu peureux, que traquent diverses polices secrètes, se révèle, soudain décidé, voire un brin téméraire. On l’en félicite. Il s’explique : « C’est simplement que j’étais fatigué de fuir et d’avoir peur... »
Voilà peut-être pourquoi (pour l’instant) j’écarte de mes pensées tout ce qui a trait à la guerre et à ma situation. J’en suis, depuis dix ans, à mon troisième ou quatrième « exode ». Vous ne pouvez imaginer à quel point c’est fatigant.
Je voudrais vous écrire plus longuement, mais je « nage » un peu : rentrée, courrier en retard, travail, gens à voir. Ce sera pour un de ces tout prochains jours.
Quand rentrez-vous à Paris ? Je
Pas de nouvelles de Comœdia ? (Vous devez trouver que je me répète,- mais c’est que le fond de l’escarcelle commence à affleurer,- et je ne me sens aucun enthousiasme pour chercher une nouvelle place de correcteur…)
(Nous avons d’un commun accord, avec P.P. [Paul Pilotaz] et sa femme, renoncé au « monsieur » et au « madame » pour le « Paul », le « Lily » et le « Gérard ». Il y a longtemps que je n’ose pas vous demander la même permission…)