Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1958-07-18 Elsen, Claude (1913-1975) 1958-07-18 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1958-07-18 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 18 juillet [1857] Mon cher Jean,

En même temps que nous parvient votre lettre, nous apprenons – avec stupeur – la mort d’Yvonne ex-Demange, sœur de Lily. Que lui est-il arrivé ? C’était l’un des êtres qui donnaient le moins le sentiment de devoir mourir prématurément (et même tardivement).

Il est certain, oui, que j’ai été sensible à la perte de mon « public » (si j’ose dire), que j’ai un peu le sentiment de parler, ou d’écrire, « dans le vide ». Je crois pourtant que je m’y serais fait. Le plus accablant, je vous l’ai dit, c’est cette lancinante obsession de devoir être toujours disposé à faire n’importe quoi – c’est-à-dire, généralement, des choses ennuyeuses, fastidieuses, sans aucun intérêt – pour gagner quatre sous ; de n’avoir aucun moyen d’existence fixe . J’avais sans doute une certaine vocation de fonctionnaire.Le journalisme, tel que je l’ai pratiqué de 1932 à 1944, donnait l’illusion – assez excitante, même si ce n’était qu’une illusion – d’agir dans quelque mesure sur les êtres, sur les idées, de « collaborer » (sans mauvais jeu de mots) à ce qui arrivait. Bien sûr, j’ai dû renoncer à cela après 45. Je l’aurais fait sans trop de peine si, en contrepartie, il m’avait été accordé de travailler en paix, dans une certain sécurité matérielle. Mais en même temps devoir renoncer à une activité que j’aimais et devoir mener une existence besogneuse, de « tâcheron » de la plume, ç’a été assez pénible et j’ai peur de ne jamais m’y être fait tout à fait.Cela dit, vous avez (toujours) raison : il y a sans aucun doute, dans mon état d’esprit actuel, depuis quatre ou cinq ans, une part de « réaction » psycho-physiologique. D’abord aux années éprouvantes que j’ai vécues entre 1944 et 1951 ou 2, ensuite à l’euphorie momentanée qui m’est venue de voir, de croire, en 52-53, tout s’arranger ; de constater ensuite qu’en fait rien n’était vraiment arrangé…

Je ne sais rien, à vrai dire, de la manière dont Paul P. [Pilotaz] réagit aux tentatives de « séduction » de F.N. [François Nourissier], ni de ses sentiments envers lui (vous pouvez m’en parler : cela resterait strictement entre nous). Il me, il nous reste une certaine gêne d’avoir été – bien involontairement – à l’origine de tout cela, en amenant ledit F.N. [François Nourissier] à Gilly (à un moment, il est vrai, où nous avions tout lieu de le croire violemment amoureux d’une autre). Notre amitié pour Paul et Lily est très grande, très profonde. Et celle que Moucky porte à F.N. [François Nourissier] ne l’empêche nullement de le juger lucidement. Bref, cette « conjoncture » nous tracasse un peu, car nous doutons qu’il en sorte beaucoup de bien.

Nous vous embrassonsClaude