Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1958-07-11 Elsen, Claude (1913-1975) 1958-07-11 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1958-07-11 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 11/7 [1958] Mon cher Jean,

En vous répondant, hier, j’ai omis de vous reparler de Golo. Le « mythe du boxer féroce » me semble en passe de devenir légendaire. Vous êtes la troisième ou quatrième personne, depuis six mois, à me citer le cas (différent) d’un boxer qui passait pour être le plus paisible des chiens et qui un jour, de manière imprévisible, s’est transformé en molosse redouttable. J’ai connu ou je connais d’autre part une bonne demi-douzaine de propriétaires de boxers qui, eux, s’accordent tous à dire que leur chien est un modèle d’innocence et de gentillesse. C’est aussi le sentiment que me donne Golo – mais j’impute la responsabilité du mythe en question au fait que l’apparence du boxer, sa mine patibulaire, sa robustesse, sa turbulence et le « volume sonore » de ses aboyements [aboiements] en imposent à qui ne pratique pas son commerce.Quant à nous, nous aurions plutôt de la peine à modérer l’affabilité et la sociabilité excessives de Golo. Il ne m’aurait pas déplu qu’il eût une certaine férocité correspondant à son aspect. Je suis bien forcé de constater qu’il n’en est rien. Ce qui n’empêche pas les non-initiés de s’écarter de lui avec prudence, sans se rendre compte que, s’il fait mine de se précipiter sur eux, c’est par un curieux excès d’anthropophilie…

J’ai bien mal répondu, j’en ai peur, à vos questions – à vos reproches – touchant mon « pessimisme » ; ne vous en indiquant que quelques raisons (concrètes, matérielles, sociales). C’est qu’il n’est pas aisé, en quelques lignes, d’exposer un cheminement de plusieurs années et qui, justement, aboutit au silence. Il me semble que je vous dirais mieux tout cela de vive voix. Disons simplement que tout se passe un peu comme si j’étais vraiment mort en 1944 ou 45, mais que j’eusse mis encore une dizaine d’années à m’en rendre compte, à constater mon impuissance à me ré-insérer dans cette après-guerre, à en trouver l’air respirable. Si c’était à refaire, je ne sais pas si je m’accrocherais encore à l’existence comme je l’ai fait en 45. J’ai le sentiment (rétrospectif) d’un grand effort inutile . Je comprends que Drieu s’y soit refusé (Drieu, à qui Robert Poulet reproche son suicide pour les mêmes raisons que vous me reprochez mon « pessimisme », justement…)

Bien affectueusementClaude