Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1957-06-28 Elsen, Claude (1913-1975) 1957-06-28 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1957-06-28 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 28/7/[19]57 Mon cher Jean,

Ce qui m’incite à vous écrire, c’est une espèce de nostalgie… Ce soir, cherchant quelque chose, je me suis mis à fouiller mes tiroirs, des dossiers. J’ai ouvert celui où j’ai rangé toutes les lettres et tous les billets que vous m’avez écrits depuis 48. (Je ne conserve presque jamais les lettres que je reçois. Les vôtres, oui – et celles de Chardonne, et quelques-unes de Poulet, c’est tout.) Et j’ai pensé avec un peu d’attendrissement aux premiers temps de notre amitié, aux premières visites que je vous ai faites rue des Arènes, surtout à l’inlassable gentillesse, à l’inlassable dévouement que vous m’avez témoignés à cette époque – assez pénible – de mon existence. Aussi à tout ce qui a suivi et dont il faut bien dire que vous fûtes à l’origine – y compris mon mariage avec Moucky, qui est la grande chose de ma vie. Mais si ! Réfléchissez-y un instant : c’est par vous que j’ai connu G.G. [Gaston Gallimard], que j’ai obtenu de lui cette « avance » sur mon Homo eroticus qui m’a permis de quitter l’imprimerie Lang, donc de « décrocher » d’autres travaux – qui m’ont finalement fait entrer chez Plon, etc.Vous me demanderez ce qui, dans tout cela, justifie la « nostalgie » dont je parlais ? C’est qu’à l’époque (1948-1950) je me voyais peu à peu rentrant dans la vie « normale », retrouvant une activité régulière de journaliste, de critique, d’écrivain, que sais-je ? Et qu’aujourd’hui je me sens terriblement « en dehors » d’un temps et d’un monde qui ne me plaisent pas beaucoup, vivant (assez mal et de manière peur sûre) des besognes sans grand intérêt, un peu las d’une constant insécurité matérielle, qui périodiquement (pour ne pas dire toujours) m’empêche de travailler vraiment .… Nostalgie , aussi, pourquoi ne pas le dire, du temps où nous avions des contacts beaucoup plus étroits, beaucoup plus suivis, un peu parce que nous étions « voisins », un peu parce que vous n’étiez pas encore absorbé par la revue et moi par la nécessité de trouver et d’accomplir les besognes que je disais plus haut.

Ces semaines-ci, je profite des demi-loisirs (forcés) que me vaut la « morte saison » pour travailler au livre dont je vous parle depuis longtemps (Je refuse de jouer ) – depuis si longtemps que je m’avise qu’à force d’y penser, je n’ai guère qu’à le « recopier » – mais quelques semaines y suffiront-elles ?Nous partons le 11 pour Gilly, jusqu’aux premiers jours de septembre. Fin septembre ou début octobre, nous emménagerons à Janville-sur-Juine. Les travaux y vont leur train (qui est lent). La maison sera, je crois, très accueillante. Elle le sera ou voudrait l’être en tout cas pour vous : il y aura une chambre d’ami, où l’on aimerait bien vous voir venir passer de temps à autre un week-end, ou quelques jours. Le jardin est grand, d’un dessin assez singulier, entouré d’un ruisseau, percé de deux sources. Il y aura des animaux, vous vous en doutez. Un seul point me laisse perplexe : gagner ma vie, là-bas, sera encore moins aisé, même en venant à Paris un ou deux jours par semaine (50km, 1h. de train)… Absent de Paris – même de 50km – on est bien vite oublié ! Le fait en soi ne me gêne guère, mais il y a toujours cette lancinante obsession du pain à gagner…

Vous voyez, mon cher Jean, que je n’avais rien de bien urgent ni de bien précis à vous dire…Ne vous verra-t-on pas d’ici le 11 ? (Moucky a essayé de téléphoner à Dominique – qui était absente – pour arranger quelque chose, un soir, avenue de Camoëns. Nous espérons qu’elle nous rappellera.)Donnez-nous, en tout cas, de vos nouvelles.

Nous vous embrassonsClaude

(Je me propose, en septembre, de voir Nimier ou (et) Mohrt. Je serais heureux, ne fût-ce qu’occasionnellement, de travailler pour les éditions Gallimard. Dans une lettre de vous non datée, qui doit remonter à un an ou deux, vous me disiez qu’il y aurait peut-être quelque chose à faire pour moi du côté d’un certain Club du Livre, vous me parliez d’un certain Gregory. Si cela vous dit encore quelque chose, voulez-vous me donner quelques précisions?)

PS – Vous ne m’avez pas dit ce qui (sans doute) n’allait pas dans la note que je vous ai donnée sur le Livre de quelques-uns de R. [Robert] Poulet – ni ce qui est advenu de celle (dont j’ai corrigé l’épreuve il y a au moins 3 mois) sur L’érotisme au cinéma de Lo Duca. N’y mettez aucun scrupule – et éventuellement renvoyez-moi la première, voulez-vous ?PS 2 – Croyez-vous qu’on puisse encore, avec un « érotique », 1° trouver un éditeur (Pauvert?), 2° ne pas avoir d’ennuis, 3° « faire » quelque argent ? J’ai aussi, dans cet ordre d’idées, depuis deux ou trois mois, un vague projet dont je vous ai peut-être parlé, et quelques notes. Mais je ne peux pas me permettre de perdre mon temps…