Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1956-12-26 Elsen, Claude (1913-1975) 1956-12-26 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1956-12-26 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 26/12/[19]56 Mon cher Jean,

Je suis un peu vexé : j’allais prendre la plume pour vous envoyer nos vœux, lorsque les vôtres nous arrivent. Nous sommes bien contents de savoir que vos yeux vont mieux. Et puisque vous avez pris les devants, je réponds à vos questions :- pour la maison, il nous faut attendre mars : c’est dans trois mois seulement que ma belle-mère pourra nous assurer le soutien financier indispensable. Comme vous savez sans doute, il n’est pas question d’engager une négociation en ce domaine sans être en mesure de signer immédiatement un chèque assez considérable…- pour la même raison, je ne me suis pas encore accordé le répit auquel je songeais dans mon activité « alimentaire » : je traduis en ce moment mon cinquième bouquin depuis 18 mois (un assez méchant roman « fantastique » pour Denoël). Rien à retenir de tout cela, sauf celui d’Angus Wilson (Anglo-Saxon Attitudes ), qui paraîtra en mars chez Stock, et qu’André Bay, après m’avoir demandé de le traduire, m’a demandé de préfacer. C’est fait. Hors quoi, Dimanche-Matin , toujours (qui, vous l’avez peut-être lu, a eu maille à partir avec la justice, ou plutôt la police, M. Pineau nourrissant une haine corse contre Roger Capgras ; mais cela n’est pas allé bien loin), et diverses autres petites choses sans intérêt.- ce qui ne signifie pas que j’ai abandonné l’idée d’écrire le livre dont vous me parlez. Il n’a rien de « mystérieux[»,?] c’est le petit pamphlet annoncé depuis Homo eroticus sous le titre de Cinq lettres . À mesure que j’en remets la rédaction et à force d’y penser, je le vois de plus en plus acerbe. j’espère pouvoir m’y mettre enfin vers la mi-janvier, une fois terminée la traduction en cours. Dans mon esprit, je crois vous l’avoir dit, il doit effectivement être constitué de cinq lettres (pour excuser le méchant jeu de mots du titre), adressées à un ami imaginaire, et traitant de la vie littéraire ces années-ci, de la politique (vue de [Sirins?]), de la vie en société, etc. Le tout, j’en ai peur, de manière assez nihiliste. Nous ne savions pas que Françoise P. [Pilotaz] devait renoncer à la danse. Pourquoi ? Paul et Lily ne nous en ont rien dit, il y a quinze jours. Peut-être l’ignoraient-ils encore? Ils étaient très occupés à chercher l’appartement que vous savez – avec l’aide de Moucky. Nous est avis que Lily a besoin de Paris pour se bien porter, physiquement et surtout moralement. Ce qui nous confond d’ailleurs un peu…Ils nous ont appris l’engagement de votre fils. Le jeune frère de Moucky est en Algérie depuis le printemps. Il a eu une vie assez dure, jusqu’en novembre, dans la région de Palestro – sur quoi un léger accident (chute en montagne) l’a retiré de ce secteur, et le voici quelque chose comme infirmier à Tizi-Ouzou, si j’ai bien compris.Comment avez-vous réagi aux événements de novembre ? À ma grande surprise, ils ne m’ont pas fait impression. Nous n’avons pas stocké un seul kilo de sucre (ni de sel). En fait, je n’ai guère cru que les choses puissent aller jusqu’au bout . Et je dois avouer que cette perspective même m’impressionnerait beaucoup moins qu’il y a quelques années. Peut-être mon instinct de conservation est-il moins vif ? Ou si le spectacle de la peur d’autrui pique au vif mon esprit de contradiction ? (Je n’ai pas oublié tout à fait les années 36-39, où c’était le sot optimisme des autres qui m’inclinait à voir les choses sous le jour le plus sombre – non sans quelque raison (et de même en 45-50). Enfin, depuis vingt ans, j’ai eu le temps de m’accoutumer à l’idée que tout finira très mal : plus question de surprise, en aucun cas…Finissez bien l’année. Je suis bien de votre avis : ces « fêtes » ont (toujours) quelque chose d’un peu assommant, même si (comme c’est notre cas) on se garde soigneusement d’y participer. Voulez-vous partager nos vœux avec Dominique ? Il faudra passer une soirée ensemble en janvier.

Nous vous embrassonsClaudeet Moucky

Au traditionnel (hélas!) « goûter de Noël », nous nous sommes découverts une dizaine de neveux et nièces de 6 mois à 8 ans. Il y a belle lurette que nous sommes fermement résolus à ne point participer à ce mouvement d’accroissement démographique.Ma fille belge (16 ans) fait, à Bruxelles, ses débuts au théâtre. Nous sommes devenus de très bons amis, tous les trois (je parle de Moucky).