Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Claude Elsen à Jean Paulhan, 1955-10-16 Elsen, Claude (1913-1975) 1955-10-16 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1955-10-16 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
le 16 octobre [19]55 Mon cher Jean,

Je suppose que vous trouverez ce mot (peu « urgent ») à votre retour. Nous partons demain pour Gilly. Moucky en reviendra le 24, moi le 26 ou le 27. J’ai grand besoin de me reposer : après avoir eu des ennuis avec mes nerfs et ma tension artérielle, je me suis offert une superbe grippe, qui a achevé de me mettre à plat. Tout cela étant plus ou moins la conséquence des ennuis que vous savez. Rien de neuf de ce côté. J’ai obtenu à grand peine d’Amiot-Dumont – grâce à Roditi – une indemnité d’un mois (40.000). Mais Dimanche-Matin est toujours au bord de la faillite, et personne n’y est payé depuis deux mois et demi.Les diverses démarches et tentatives que j’ai faites ça et là n’ont rien donné. J’ai même écrit à Gaston Gallimard (notamment pour lui offrir mes services comme traducteur). Il m’a répondu quatre lignes poliment évasives. Tout cela est assez décourageant. En attendant (quoi?) Moucky fait de petits travaux de dactylographie et songe à donner des leçons particulières à des enfants. Si rien ne se dessine en novembre, je songe pour ma part à me mettre à la littérature « alimentaire » (« série blonde », roman policier, que sais-je?) Mais cela risque de créer des complications du côté de G.G. [Gaston Gallimard], qui est féroce en ce qui concerne l’observation des clauses du contrat qui lie les auteurs de la maison et leur interdit de publier ailleurs, même sous un pseudonyme.Bref, je ne vois pas trop bien comment nous nous en sortirons, d’ici un mois ou deux.

J’ai reçu – avec surprise – un mot de Marcel Arland me demandant si je m’étais mis d’accord avec vous sur les livres dont je parlerais dans les prochains n° [numéros] de la nrf [Nouvelle Revue Française] (!?). Je lui ai annoncé une note sur Pierre Boulle. Serait-il, soudain, mieux disposé à mon endroit ?

Un mot de vous me (nous) ferait plaisir à Gilly, la semaine prochaine ou au début de la suivante (je compte rentrer le mercredi 26 ou le jeudi 27).Et puis il faudra se voir.

Quand je pense à tout , je suis assez accablé. Ce qui est grave, c’est que ces déboires successifs (Plon, Amiot-D. [Dumont], Dimanche-Matin) me rendent un peu neurasthénique, m’enlèvent le goût et le courage de travailler. Les mois et les années passent, sans m’apporter le minimum du paix et de sécurité matérielles qui sont tout de même la condition d’une existence un peu harmonieuse. Ces dix ans m’ont usé les nerfs et, j’en ai peur, un peu aigri. Cette vie besogneuse et sans cesse aux abois est déprimante au possible, entraîne une terrible dispersion intérieure. J’en reviens insensiblement (et quand je dis « insensiblement »…) au nihilisme de mes vingt ans, quand je pensais avec complaisance au suicide tant me semblait vaine et stérile l’agitation à quoi contraint la « lutte pour la vie ».Tout cela se sentira fort, je le crains, dans les propos de mon « Dernier quart d’heure » que me demande de tenir au micro de la radio Pierre Lhoste – avec un sens involontaire de l’humour noir…

Je suis las aussi, il faut bien le dire, d’importuner mes amis avec mes ennuis, de leur demander conseils, suggestions ou appui… Vous, c’est différent. Je sais que vous m’écoutez avec une affectueuse indulgence…

Nous vous embrassonsClaude