Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Grenier à Jean Paulhan, 1930-08-14 Grenier, Jean (1898-1971) 1930-08-14 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1930-08-14 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
14 Août [1930]

Tu reçois des lettres de protestation et moi des lettres de félicitation. C'est juste, chacun dans son rôle, toi directeur et moi auteur C'est toujours le 1er qui reçoit les coups. Mais la lettre que tu m’as envoyée était inintelligente. Si tu en as de + intéressantes envoie-les moi. Evidemment je ne peux contenter tout le monde. L'essentiel est que tu ne me lâches pas et je sais que je peux compter sur ton amitié. Et pour le reste MERDE

Citation d’A. Breton 2e Manifeste (remarquable)

Les Nouv. Litt. disent que j’ai de l’avenir tant mieux ! Coupe tant que tu veux dans mes papiers il en restera toujours assez et je comprends les nécessités d’une revue. Tes remarques sont justes. J'en tiendrai compte si je fais un volume de mes Considérations en remaniant et en ajoutant – Que penses-tu de cette idée ?

– Il s’agit d’un pensionnaire. Tous les ans on en désigne un pour l’an suivant. Il est couché et nourri pendant les mois d’été aux frais de la Fondation. Moi je n’ai absolument aucun droit de vote là-dedans n’étant pas héritier de Laurent-Vibert – mais je peux « suggérer ». Il faut un jeune homme, encore peu connu, de culture méditerranéenne, qui n’ait pas des opinions de gauche ou plutôt qui ne fasse pas de politique active de gauche (il peut avoir les opinions qu’il veut, moi je dis du mal de Maurras toute la journée, puisque Benda n’est pas là) mais Laurent Vibert ayant été d’A. F. et les héritiers et amis de Lourmarin en étant presque tous malgré leur libéralisme ils peuvent hospitaliser un futur Lénine. Il faut surtout que le pensionnaire ne soit pas trop dépaysé dans un château et qu’il ait une certaine aisance d’allures (tu sais comme ces considérations méprisables jouent un grand rôle partout.)

Si tu crois que Marc Bernard réunisse à peu près ces conditions fais-lui m’envoyer ce qu’il a publié, sous un prétexte quelconque ; et il serait bon qu’il vînt passer un ou deux jours à Lourmarin au début Septembre – (la décision sera prise vers le 19.) Tout cela demande beaucoup de diplomatie ! Et puis rien ne dit qu’il n’y ait pas d’autres candidats. J'avais pensé aussi à Blanzat Tout ceci entre nous n’est-ce pas ? Pour qu’il y ait une chance de réussite il faut le plus grand secret, surtout vis-à-vis de l’intéressé. Je regrette que tu coupes tout ce que je dis de Malraux. Je viens de lire les épreuves de La Voie Royale et je suis enthousiasmé. C'est beaucoup plus beau que les Conquérants malgré qqs incohérences et obscurités. C'est un livre très important et pas seulem. très beau. L'as-tu lu ?

Orages et mistral Mistral et orages – Je pense que vous avez choisi St Gingolph à cause de son nom. Le 11 Sept. grand tralala à Lourmarin. Daudet vient parler de Mistral ! Nous sommes bien heureux d’avoir de meilleures nouvelles. Ma femme est trop occupée pour écrire en ce moment. Ns sommes arrivés hier soir à Eguilles ou ns restons jusqu’au 31. Reposez-vous bien, tâchez d’oublier votre ami Julien qui doit venir vous troubler dans vos rêves.

Je suis bien fidèlement à vous deux.

Jean Grenier

Voilà encore des notes que tu ajouteras si tu le trouves utiles.

En Inde une philosophie de l’Absolu est le fondement même d’une société ultra-conservatrice. En Europe elle menacerait de détruire la civilisation.

X

L'intuition, dont nous pouvons trouver des modèles dans la philosophie Védāntā, loin d’épouser « la vie » dans tous ses détours, doit s’arracher d’elle et lui faire violence. En quoi elle s’oppose à celle de Bergson et se accorde rapproche de celle de Plotin.

Inexpiable lutte entre la pensée et la vie. La pensée livrée à elle-même est audacieuse, elle me porte au-delà de ce que j'ose penser. Elle n’a pas peur, elle ne tremble pas comme fait l’homme pour sa vie. Pas de mort pour la pensée. La vie est absurde devant la pensée. La pensée ne peut être absurde devant elle-même. Le nihilisme absolu trouve là sa limite. Mais ce qui est affreux c’est ce mariage impossible d’une pensée (qui est éternelle) avec une vie (qui va finir). L'Inde réalise le rêve qui flotte dans les yeux des esclaves de Michel-Ange.

X

La grande parole de Spinoza : L'homme n’était pas nécessaire, il n’était pas nécessaire que l’homme fût ! On ne peut penser à cela sans effroi.