Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Panaït Istrati à Jean Paulhan, 1929-08-10 Istrati, Panaït (1884-1935) 1929-08-10 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1929-08-10 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

Écrivez-moi à l’avenir : 24 rue du Colisée

Paris, le 10/8/29

96 ave. des Ternes

Mon cher Paulhan,

Vous êtes un garçon terrible et affreusement logique. Je garde un excellent souvenir de vous. Je vous crois honnête et travailleur, - mais je vous prie de me dire à quoi tout cela sert, dans un monde mesquin où les cris que vous me demandez, retentissent comme dans le désert ?

Toutefois, je me décide de faire m’écarter un peu de l’isolement que je me suis imposé devant un si épouvanttable acte que celui que je commets, en frappant [mots barrés illisibles] sauvagement. Je le fais, pas pour monsieur Gallimard, dites-le lui bien, car il n’a su faire aucun effort pour moi, mais dans l’espoir que vous, Paulhan, vous ferez plus qu’enregistrer un cri dans la NRF : j’entends que vous sachiez réunir des forces honnêtes, propres, autour de l’effroyable que je démasque, et que vous preniez en mains des causes et des sorts qui sont perdus sans un puissant soulèvement de consciences.

Je vous ai prévenu télégraphiquement de cette décision, que j’ai prise seul et que je dois vais soumettre au jugement de RobertfranceJacques robertfrance (1897-1932), secrétaire général des éditions Rieder et secrétaire de rédaction d'Europe, de 1927 à 1929 ; Voir Nicole Racine, "Jacques Robertfrance, homme de revue et homme d'édition", Les Cahiers de l'IHTP, n° 20, mars 1992, p. 142-159., certes, par pure confraternité, car je ne demande à personne ce que je dois faire ou ne pas faire, dussé-je en pâtir comme un animal. Je vous ai dit que je vous donne un chapitre. C'est le document mon cri massue, dont Rolland s’est épouvanté rien qu’au simple récit des faits : L'Affaire Roussakov ou l’U.R.S.S. d'aujourd’huiTexte paru dans La NRF, n° 193, octobre 1929, p. 437-476. Une cinquantaine de (petites) pages, un quart du livre et son cœur, comme le titre l’indique.

Je travaille à ce livre depuis un mois, jour et nuit, au point de sentir mon squelette fondre. L'Affaire Roussakov en est le dernier chapitre et je suis en ce moment sur ses 4 ou 5 dernières pages.

C'est moche comme style et affreux comme français mais je n’ai qu’une passion : hurler la vérité et espérer de sauver ce qu’il est encore possible.

Robertfrance corrige à mesure et il est très content de ce que mes entrailles vomissent.

Et puisque je casse la vaisselle par la NRF, je crois bien que je livrerai ce chapitre à la presse mondiale, pour que la casse soit complète, mais j’en conditionnerai l’apparition : cela doit paraître le 1er oct., 15 jours avant mon livre, et partout en même temps.

Veuillez m’écrire. Amitié affectueuse,

Votre Panaït Istrati