Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Lescure à Jean Paulhan, 1950-10-18 Lescure, Jean (1912-2005) 1950-10-18 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1950-10-18 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Le 18. X. 50

Cher Jean

C'est en effet cet essai que vous avez publié dans les cahiers du Sud qui a décidé des recherches (patientes) que je fais à la radio. J'étais très préoccupé de l’invraisemblable mise en scène que Dasté avait fait de la Nuit - et Schönberg m’a donné très vite le moyen de compléter l’écriture d’un texte destiné à être parlé – par cette ligne mélopéique qui est d’une lecture fort aisée et qu’il écrit au-dessus du texte de ses récitatifs. mais l’établissement de cette ligne mélopéique est parfois malaisé. Si l’auteur est mort. Racine par exemple. Tout encombré de trois siècles tantôt de comédie française. Et que sait-on ? « J'ai trouvé une Mardochée dont la voix va droit au coeur. » et aussi qu’il enseignait vers par vers à la Champmeslée la déclamation de ses tragédies. et aussi que Lully recommandait à ses « chanteurs » pour bien interpréter ses récitatifs d’aller écouter la Champmeslée. Il faudrait donc établir à partir de Lully un vocabulaire des modulations vocales et user de cela pour décrypter le chant racinien – l’essentiel de sa rhétorique.

Pour les auteurs vivants ? Guilloux vient, il y a quelques jours, à la maison et me lit des pages de lui. Je les lisais autrement. L'écriture ne portait pas trace de certains éléments « sensationnels » comme vous dites – qui éclataient dans sa voix.

Donc une première question : comment entendez-vous ce que vous écrivez ? où le mot entendre revient bien à comprendre. Blanzat me parle de « la voix secrète ». Il pourra bien arriver que l’auteur ne puisse pas exprimer par sa voix cette voix secrète. mais je dispose en Antoine Duhamel d’un merveilleux hypocrite qui essaiera – en compagnie d’un bon interprète – de donner une écriture à cette voix jusqu’à ce que l’auteur en soit satisfait.

Vous voyez que je ne cherche dans la voix qu’une clé pour cette rhétorique si bien fermée.

La seconde question : Que lisez-vous ? comment lisez-vous ? Nous voilà dans la sociologie et les sociétés secrètes (de culture évidemment). D'où quelques perspectives sur un dictionnaire des inflexions et peut-être une sémantique des accents.

La troisième question : Tout est-il matière à littérature, ou : y a-t-il des histoires que vous n’écririez pas ? mais que vous raconteriez ? Soit une possibilité de littérature orale – avec son conditionnement (!) et le passage d’une absence à une présence (celle de l’auteur)

La quatrième question c’est pour le plaisir : En 19… où étiez-vous ? que faisiez-vous ? J'aimerais opposer aux grands événements (pardon pour le changement d’encre) de l’histoire tels qu’on les trouve aux premières pages des grands journaux en grands caractères les détails les plus simples (ou les plus compliqués – mais c’est la même chose) de la vie d'un homme. Les événements les plus simples étant bien entendu analogues à ce que vous nommiez les souvenirs déterminants.

Les résultats de mon indiscrétion n’intéresseront sans doute pas beaucoup de monde – mais moi en tous cas – puisque – une chose simple – je veux bien essayer de croire que mon langage est parlé.

Votre

Jlc

42 rue du Bac

LIT 6691

Schönberg écrit par exemple (ode à Napoléon)

on peut traduire les mots mais il faut alors

traduire aussi la mélopée qui ne rend plus. T'is done