Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Roger Martin du Gard à Jean Paulhan, 1957-03-02 Martin du Gard, Roger (1881-1958) 1957-03-02 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1957-03-02 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Nice – 2 mars 57

Cher ami, j’ai peut-être échangé une ou deux lettres avec Valery Larbaud ..? Je crois bien ne l’avoir jamais rencontré... N'oubliez pas que c’est en décembreautomne 1913 que j’ai débarqué dans les eaux de la NRF et du Vieux-Colombier ; et que, dans ce semestre qui a précédé la mobilisation, c’est uniquement Copeau et le Colombier que j’ai fréquenté intimement. Je m’aventurais d’autant moins souvent ans la boutique de la rue Madame que j’ai eu, cette année-là, Gaston au Vx. Colombier, tous les soirs.

Ceci, pour expliquer que je n’ai rien, absolument rien, à dire de Larbaud ! La sympathie qu’il m’inspirait venait, - au moins autant que de ses livres -, des conversations de Gaston, qui en parlait sans cesse très souvent et avec une chaleureuse et tendre curiosité, aimant son oeuvre, aimant plus encore l’homme, l’ami, ses confidences, sa culture, ses souvenirs de voyage, ses pardessus cossus, ses valises en peau de porc, et sa mégère de mère (qui disait à Copeau : - « St Yorre me pisse cinq cent mille francs par an ! » mais qui reprochait à son fils les dépenses de son blanchissage...)

Ne me réservez donc aucune page de votre numéro d’hommage, mon cher Paulhan, je n’aurais rien à vous y mettre.

Je suis bien sensible à votre mot, et que vous ayez pensé à moi (- qui m’éloigne, qui m’enfonce peu à peu dans mon crépuscule...) Je suis bien remis de mon opération, mais le vieillissement général s’accentue, il me semble, surtout depuis ces derniers mois, où je suis atteint de la façon la plus éprouvante, sinon dangereuse : condamné, par une violente crise de rhumatisme dorso-lombaire, à une vie de paralytique. Impossible de sortir du lit avant 5 ou 6 comprimés d’aspirine ; mes journées commencent à midi ! Et se passent dans un fauteuil corseté dans un carcant orthopédique... ! Mon petit-fils m’a amené à Nice, au début de décembre, par avion : je n’ai pas une seule fois pu reprendre l’ascenseur, pour faire ne fût-ce que cinquante mètres, sur la terrasse. Une chance d’habiter un pays où le soleil vient de lui-même à vous, tous les jours, à la fenêtre !

Excusez ces jérémiades, cher ami. C'est entre nous ; - pour répondre à vos questions amicales.

Bien affectueusement vôtre,

R Martin du Gard