J'ai cédé à une crise maligne d'exhibitionisme [exhibitionnisme] tardif... Après m'être abstenu toute ma vie de parler de moi, j'ai lâché soudain la bonde ! .. J'en suis surpris moi-même. Cela n'a été possible que parce que j'ai maintenant l'optique de la mort : ces notes autobiographiques, au seuil d'une édition nécrologique (comme l'indique ce titre d' « Oeuvres complètes » - ça sonne comme un glas ! -) sont, à vrai dire, des posthumes. Puisqu'il fallait absolument mettre une notice biographique en tête de ces deux volumes, j'ai pensé que mieux valait m'en charger moi-même, non pour romancer flatteusement ma vie d'écrivain, mais pour donner, du moins, des documents exacts et des précisions – intéressantes ou non – que je suis seul à connaître. (Le vieux chartiste sommeille en moi, à côté du fameux animal de Monselet...)
Il va sans dire que ce « je » complaisant serait ridicule et inexcusable partout ailleurs que dans ces « Oeuvres complètes ». Rien ne pourrait en être publié dans la N.R.F. Rien, si ce n'est, peut-être, en effet, ces pages sur Copeau auxquelles vous faites allusion... Je donne, en une trentaine Copeau-1914, que j'ai vu de si près et que j'ai peut-être mieux connu qu'aucun autre. J'y insiste très longuement sur l'influence exceptionnelle que l'amitié et la fréquentation de Copeau, - de Copeau romancier-né, romancier prodigieux a eu sur ma formation de romancier. C'est une dette de reconnaissance qui me pesait depuis longtemps, - depuis quarante ans, - et que je désirais acquitter avant... enfin, avant la décomposition organique ! C'est fait, et j'en suis heureux.
Mais publier ça dans la N.R. Est une autre histoire. Je doute que ces pages vous plaisent, et qu'elles plaisent à Arland... Je me demande aussi quel intérêt elles pourraient avoir pour vos lecteurs d'aujourd'hui ? … Bien entendu, il me plairait de figurer sur votre sommaire, et de donner ainsi témoignage que, malgré mes silences, je suis encore un fidèle de la boîte. Considération accessoire, dont il n'a pas lieu de tenir compte. Lisez mes pages sur Copeau ; j'ai prêté un exemplaire du manuscrit, pour quelques jours, à Gaston, pendant que je travaille au dernier tiers, (une trentaine de pages) qui me reste à finir. Montrez-les à Arland, et donnez-moi franchement vos impressions – sans clauses de style. Aucune susceptibilité d'auteur à ménager !
Santé ? J'ai fourni cet été un travail assidu, pour préparer et écrire ces souvenirs. Mais, malgré une grande fatigue, - je survis !
En hâte, bien affectueusement,