Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Roger Martin du Gard à Jean Paulhan, 1934-02-25 Martin du Gard, Roger (1881-1958) 1934-02-25 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1934-02-25 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Roger Martin du Gard

[1934]

APPEL

Une des tristesses de ce temps est qu’il semble nous contraindre à ne penser jamais que politiquement. Les signataires de cet appel, préoccupée de n’intervenir en aucun sens dans la politique d’un pays qu’ils estiment, l’Autriche, se font cependant un devoir de dire l’émotion qu’ils ont ressentie devant les batailles de Vienne et la répression qui les a suivies. Ils ne veulent que rappeler les droits d’une pensée plus large et plus humaine que ne peut l’être la pensée politique engagée dans l’action. Des adversaires, quand ils sont gens de coeur, méritent toujours le respect. La probité de la pensée et le courage ne méritèrent jamais ni la prison ni la mort.

25 février 1934

Ma foi, non, cher ami. Je n’ai pas envie d’engager une fois de plus ma signature. Je suis las de ces protestations platoniques et inefficaces. Bien sûr, l’appel est très mesuré, je pense tout cela, je n’ai aucune raison (de conscience) de refuser cette signature. Mais, en nous demandant ainsi, à tous propos, notre adhésion vous faîtes de nous d’inoffensifs professionnels de la protestation collective, et vous enlevez vous-mêmes à ces protestations toute valeur active. La lutte ne fait que commencer : pourquoi émousser à plaisir nos armes, déjà si faibles ? Dans l’intérêt même des causes qu’il importera peut-être de pouvoir défendre sérieusement, je crois qu’il est grand temps de se montrer plus circonspect et de se réserver davantage.

Et puis, quoi ? Nous entrons dans le domaine de la guerre (civile). Choc de forces qui s’opposent. Choc d’ennemis, armés. Les partis se canardent. Il y a des morts, des deux côtés. C'est l’absurde loi de la violence. Au nom de quoi protester contre la victoire sanglante de celui qui actuellement est le plus fort ? C'est contre toute violence qu’il faudrait s’élever. La vérité, l’humanité, sont violées, à droite comme à gauche. Mon instinct profond, c’est de renvoyer, dos à dos, ces fanatiques qui s’entretuent.

Je trouve votre position à peu près indéfendable. Il y a confusion de plans.

Mais combien je partage votre indignation, combien nos angoisses sont fraternelles, combien nous sommes d’accord sur le fond, vous le savez bien. Répétez-le à Malraux, à Guehenno. Et excusez-moi de ne pas signer.

Affectueusement à vous

Roger Martin du Gard