Tout bien examiné, il faut renoncer à couper pour la revue cet épisode dont je vous avais, un peu vite, un peu légèrement, parlé. Je crois que cela n’aurait pas fait un trou dans l’ensemble que va publier Marianne ; mais, isolé dans la revue, cet épisode serait trop mince : il ne prend guère un peu de valeur que dans l’ensemble. Et puis j’aurais vraiment l’air de dérober un morceau à cet ensemble que Marianne m’a demandé. Même en expliquant la chose à Berl, même en diminuant le prix convenu, de ce que j’aurais touché à la N.R.F., le geste est inélégant de revenir sur un « marché » conclu… Donc, n’y pensons plus, et excusez-moi.
Je vous signale une étude sur moi, en deux articles, de A. Rousseaux dans Figaro ;
(Figaro. 23 et 30 juillet – dans la rubrique « Figures contemporaines ») Pour une fois, savez-vous, je me surprends à être extrêmement sensible à un article de critique me concernant ! D'où, cette démarche. (Bien entendu, si cela vous paraît inutile, et que vous n’y donniez pas suite, je trouverai cela tout naturel.)
31 juillet 32
.2.
J'ai trouvé votre carte en arrivant ici. Eh oui, je vous accorde qu’une guerre civile européenne serait effroyable ; et c’est bien pour cela que je signe un manifeste « contre la guerre, quelle qu’elle soit, d’où qu’elle vienne ». Je n’imagine pas que sous une formule aussi globale, puisse se glisser, même dans l’esprit du plus hypocrite signataire, une réserve relative à une guerre « civile ». Ou bien alors les mots n’ont plus aucun sens. Ce qui m’a déterminé, c’est, en partie, l’explosion inconcevable de joie qui a suivi, dans les discours officiels, la conclusion dérisoire de la Conf. de Lausanne. Je n’avais pas attendu ça pour m’apercevoir que les gouvernements capitalistes sont aveuglés par la complication – très réelle, d’ailleurs – des problèmes immédiats et nationaux ; et incapables de s’entendre sur un plan général, volontairement simpliste, qui provoquerait enfin un rapide et complet changement de direction.
Mais, tout de même, jamais ne m’avait parue aussi évidente leur déficience. Et je me disais que seul un immense mouvement d’opinion pourrait les obliger à donner le coup de barre nécessaire. Là-dessus me parvient le manifeste de R. Rolland, qui, justement, fait appel à tous, sans distinction de parti ni de confession, pour essayer de provoquer parmi les peuples, enjeu passif de la partie, ce sursaut d’effroi et de bon-sens qui pourrait encore, je crois, sauver la paix. Alors, je signe. Et voilà. C'est un S.O.S. désespéré, qu’on lance à travers le monde civilisé. Si ça ne fait pas le bien qu’on en attend, ça ne peut ni aggraver les tensions, ni hâter le glissement vers l’abîme.
Vous n’êtes pas encore parvenue à me faire regretter mon geste. Mais je connais vos diableries, et je ne dis nullement que vous n’y parviendrez pas…
Très affectueusement vôtre, cher ami « Peut-être »…