Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Roger Martin du Gard à Jean Paulhan, 1928-06-14 Martin du Gard, Roger (1881-1958) 1928-06-14 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928-06-14 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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BELLÊME

TEL. 28 ORNE

14 juin 1928

Comprends pas du tout, cher ami ! Et si c’est à cause de moi, de mon attitude, de mes réticences avant la publication, que « la Gonfle » doit vous laisser un mauvais souvenir, ce ne peut être qu’à cause d’un insondable malentendu !

Si la N.R.F. n’est pas « la revue où je désire d’abord publier ce que j’écris », – pour reprendre vos propres expressions – c’est parce qu’il n’y a aucune revue où je désire publier fragmentairement les œuvres toujours longues et massives que je ponds.

Si j’ai donné à de Traz un morceau de La Sorellina, c’est : 1°/ un peu par inadvertance – 2°/ parce que l’épisode se passe à Lausanne – 3°/ parce que cela m’était relativement égal que les lecteurs de la Rev. De Genève me jugent mal d’après un tronçon de livre qui ne vit pas par lui-même. 4°/ enfin, parce que je m’étais persuadé que c’était une bonne façon d’étendre mon public, en atteignant des lecteurs étrangers lisant le français.

Mais ne vous ai-je pas déjà écrit tout cela ?

Pour « La Gonfle », la vérité est que je n’ai eu ni plaisir ni irritation à voir la pièce paraître en deux morceaux. (J'ai pour tout cela, au fond, une sorte d’indifférence naturelle. Je me fais beaucoup de bile avant, pendant la création ; et je me détache étrangement de l’oeuvre, dès qu’elle vit seule, dès que le cordon est coupé. Les éloges me chatouillent assez agréablement ; les critiques m’intéressent beaucoup quand elles en valent la peine, quand elles trouvent résonance en moi : mais, à la vérité, tout cela se passe surtout en surface, et l’on m’ennuie assez vite en me parlant des œuvres parues ; mon esprit est ailleurs. Il y a peut-être beaucoup d’orgueil dans cette indifférence…) – Il y a, en tous cas, passablement d’outrecuidance à vous parler si longuement de moi ! Mais votre mot m’a peiné, et surpris, et laissé perplexe. Comprends pas…

Bien affectueusement vôtre.

R.M.G.

P.S. Je m’aperçois que je n’ai même pas pensé à protester de mon attachement à la N.R.F. et à ce qu’elle représente, et à ce qu’elle est devenue, et à ceux qui l’animent – Vous n’allez tout de même pas m’obliger à rabâcher de pareilles évidences ?? Est-ce que je passe mon temps à me féliciter d’avoir une main droite ? J'ai le sentiment si fort d’être une partie de la N.R.F., d’être «  de la famille » qu’il ne me vient même pas à l’idée de la considérer en dehors de moi et de dire que je lui suis attaché !..