On sait ce que me vaut une approbation de vous, mon cher Paulhan. Je m’avoue très flatté de vos éloges. Quelle que soit maintenant l’attitude des lecteurs ou des spectateurs éventuels, je n’oublierai pas que j’ai eu votre « satisfecit » ; - et cela me donne du cran pour affronter les gens.
Aussi je commencerai pas vous. Non pas par l’ami Jean Paulhan, mais par Paulhan, le rédacteur en chef de la N.R.F., - lequel, pour aujourd’hui, je vais distinguer un instant de l’autre.
Si vous pensez qu’une pièce comme La Gonfle puisse être publiée dans une revue et puisse intéresser vos abonnés, je suis prêt à vous la donner ; et je serais même très content qu’elle paraisse à la N.R.F. - Mais attendez ; voici où commence le langage nouveau : (Peut-être me forcé-je un peu pour l’employer ? Toutefois j’ai bien réfléchi, je ne cède pas à un accès de bile ni à un mouvement inconsidéré) : La Gonfle a une valeur, comme ils disent « marchande » ; et donc
je veux la vendre
Ecoutez-moi jusqu’au bout.
En l’année 1924, qui a été la « glorieuse » année de ma carrière, mon gain professionnel (tout compris : le père Leleu – Devenir – J Barois – Les 4 vol. des Thibault) a été, tant à la Société des auteurs dramatiques qu’à la N.R.F., de …. de 19.100 francs.
En 1925 = 15.137 fr.
En 1926 = 11.950 frs. (Pas tout à fait le billet de mille par mois.)
Je ne travaille évidemment pas pour gagner. Mais, tout de même, il me semble inadmissible qu’après vingt ans de travail, un auteur bien vu ou public ne puisse toucher, pour toute son oeuvre, qu’un salaire aussi dérisoire. J'en veux beaucoup à la N.R.F. Gaston le sait bien, et qu’il n’en a pas fini avec moi. Si j’avais au Mercure, ou chez Grasset, ou n’importe où, cinq volumes, de vente aussi continue que J. Barois et que les 4 Thibault, je gagnerais du 20% là où la N.R.F. ne me
J'ai donc décidé d’agir tout autrement. Je cherche quelqu’un à qui confier la gérance de mon oeuvre et la discussion de mes intérêts avec l’éditeur. En attendant, je vais essayer de me défendre moi-même. De débattre les tarifs, de vendre au mieux mes produits. Je regrette que ce soit pas vous que commence mon apprentissage de mouton enragé ; mais il faut dire que je me lance. Les amitiés ne m’ont que trop longtemps retenu. - Je vous écris donc :
« M. le Rédacteur en chef,
« La Gonfle est à vendre. Non pas à la page, mais à forfait. Seriez-vous preneur ? Quel est votre prix ?
« Dans l’attente de vous lire, je vous prie de
Et, pour l’ami Jean Paulhan, qui reste en dehors de ce débat, une très affectueuse poignée de mains,