Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Roger Martin du Gard à Jean Paulhan, 1926-02-01 Martin du Gard, Roger (1881-1958) 1926-02-01 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1926-02-01 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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1er fév. 26

Cher ami. Je viens de passer une bien curieuse soirée avec vous ! Vous êtes un peu comme un prestidigitateur, et vos subtilités se tirent à perte de vue les unes des autres comme d’une boîte à multiples fonds. Et on ne peut s’empêcher, tout le temps qu’on vous lit, de guetter votre figure honnête, votre regard posé, sincère, votre voix sérieuse, pour voir s’il ne vous échappera jamais un machiavélique sourire de mystificateur... Mais tant pis si je suis dupe. Je vous ai suivi minutieusement, sans trop d’inquiétudes, et j’ai descendu avec vous les interminables spirales de cette dissertation, où l’inattendu mène toujours vers un plus inattendu encore. La brochure fermée, j’ai conscience d’avoir fait un voyage étrange et captivant, que jamais je n’eusse pu faire seul, ni avec aucun autre. Vous avez poussé le « ni chair ni poisson ([voyez?] proverbe...) vraiment aussi loin qu’il est possible ; et je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui, à ce point, s’obstine, dans toutes ses manifestations, à ne ressembler à personne. S'obstine est d’ailleurs très impropre : je veux dire que personne ne m’a jamais semblé se conformer avec une si totale réussite au « ne cultiver en soi que l’irremplaçable, ne dire jamais ce qu’un autre aussi saurait dire »...

Je vous admire énormément. Mais ne souriez-vous jamais de votre adresse, quand le tour est réussi ? Ne fut-ce que par élégance ?

Vôtre, bien affectueusement, R Martin du Gard