Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pierre Minet à Jean Paulhan, 1931-10-09 Minet, Pierre (1909-1975) 1931-10-09 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1931-10-09 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

5 rue de Montsouris

hôtel Gilbert (14ème)

Vendredi 9/10.31. mon cher Paulhan.

Voici votre lettre, qui naturellement m’a fait beaucoup penser – qui m’a peiné, aussi. C'est qu’en somme, mon cher Paulhan, je souffre de votre incompréhension. Non pas que vous ne puissiez me comprendre. Simplement votre amitié pour moi n’a jamais dépassé les « cadres » ordinaires, alors que la mienne pour vous m’a fait croire à l’existence d’un vérittable sentiment nous liant fort. Je suis donc l’auteur de ma peine, par la joie irraisonnable que nos rapports me causait, et par mon manque d’observation en l’occurence.

Je ne puis ajouter foi à la raison que vous me donnez, à savoir que peut-être vous m’en avez voulu de ma conduite envers Gaston Gallimard. Quoi ?! : malade, dans une situation matérielle affreuse, menacé de tous côtés, j’aurais dû, par amitié pour vous, échapper au salut qui m’était offert ? Croyez-vous donc que je n’ai souffert d’avoir à quitter une maison dans laquelle votre grande bonté m’avait fait entrer ? Mais il me semblait que votre amitié allait comprendre le désir que j’avais de vivre encore (ne pensez pas que j’exagère). Je n’ai jamais cessé de souffrir de ce départ. Mais il fut inévittable. Mon cher Paulhan, si je croyais à votre raison, il vous me sembleriez être un homme tout à fait dépourvu de « sens humain ». Ce qui n’est pas. Je vous dis : il y a une toute autre raison à notre éloignement. Et, selon moi, la voici.

Vous attendiez beaucoup plus de moi. Vous m’attendiez plus « aimable », plus « nourrissant » oserai-je dire … Je vous ai déçu. Mais sachez que vous n’êtes pas le seul … Ici, je vous ferai un tout petit reproche : Il m’a toujours été très difficile de vous atteindre, parce que jamais vous n’avez manifesté le désir de me voir ailleurs que dans votre bureau. Il y a une manière de donner son amitié ; pour moi, qui ne suis et ne peux être brillant, et je ne me révèlerai jamais en présence de telle ou telle personneage étrangère à moi, je n’ai du reste pas les moyens de faire assaut d’intelligence... Dans votre bureau, je fais un peu figure (à moi-même) de parvenu, un parvenu assistant aux remarquables brillantes et nobles prouesses orales de quelques uns des meilleurs gentilshommes de la Cour du Roi Un Tel. Devant cela, forcément je reste bouche bée, en pleine admiration... Mais comment suis-je donc, pris dans l’intimité ? .. Mon Dieu ! C'est inexplicable...

Quant à ce que vous me dites du peu de solidité de mon amitié, selon vous, eh ! bien, non, je ne vous répondrai pas. Croyez que vous m’avez fait souffrir involontairement. Ce qui m’étonne, c’est que vous ayez conservé un si vague souvenir de certaines de mes lettres à vous, dans lesquelles je croyais m’être mis tout entier et que peut-être j’avais écrites un peu dans l’espoir de forcer le développement de notre amitié.

Voici, mon cher Paulhan. Allez-vous me répondre ? Je vous téléphonerai bientôt. Que me direz-vous ? Enfin, je suis votre ami.

Et toujours le votre

Pierre Minet

P.S. Faites mes amitiés à madame Pascal.