Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'Adrienne Monnier à Jean Paulhan, 1930-04-01 Monnier, Adrienne (1892-1955) 1930-04-01 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1930-04-01 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Adrienne Monnier

1er Avril 1930 Cher Ami,

Sollier est très content de votre lettre, oui, qu’il est content que vous ayez aimé ses Vierges folles ; il n’était pas sans inquiétude.

Il est tout à fait de votre avis au sujet du discours de Jeanne ; il faut nettement enlever la partie du « postal » ; il avait eu lui-même envie de la supprimer et avait demandé l’avis de Sylvia et de Rinette qui s’étaient déclarées pour le maintien, du fait que c’est un des détails les plus directement observés de toute l’histoire. Par ailleurs, il ne déplaisait pas à Sollier que ce long épisode (long par rapport au reste) fit oublier les garçons, et surtout Albert auquel il avait été amené à donner plus d’importance qu’il n’aurait voulu. Dans sa pensée, on devait surtout voir les filles ; Albert est là comme le Tentateur, qu’il n’a pu s’empêcher de justifier, d’expliquer.

Et naturellement, cette idiote de Jeanne n’a la parole qu’en qualité de témoin d’Auguste ; elle en profite, elle s’étale. Elle aura les « Crêpes », et c’est tout !

Au sujet de « ravaudant les éternités », Sollier ne trouve pas ça trop beau, mais peut-être pas encore assez beau pour Auguste. C'est une métaphore comme il en fourmille dans les argots. Le bond de langage n’est pas impossible, une partie de l’expression étant donnée : éternités. L'expression courante aurait été ; « Encore son truc à la manque qui dire des éternités ». Par ailleurs, l’éternité s’associe facilement, dans l’esprit du peuple comme dans celui des poètes, avec l’amour. « On vit quelquefois en un jour, toute une éternité d’amour ». Le plus souvent, c’est l’acte d’amour même qui semble une bienheureuse éternité.

« Ravaudant », qui vous paraît très recherché, s’impose moins par l’idée qu’il représente que par son corps verbal ; il contient en raccourci quelques uns des éléments importants de la phrase qui succède : « Sa bouche édentée qui tire le sein, lant, noyée dans sa Gare ». - Même l’idée me semble possible ; j’entends très bien une femme dire d’un impuissant ou presque : « ce qu’il ravaude ! » - Il faut penser aussi qu’Auguste est saoule et que les mots prennent aisément du champ dans son esprit.

Enfin, si ces raisons ne vous ont pas convaincu, dites-vous que ce n’est pas Auguste qui parle, mais Sollier qui, après tout, ne s’est pas identifié avec ses personnages et a gardé quelques droits.

Avec les vifs sentiments de respect et de gratitude de Sollier, je vous envoie, à Germaine et à vous, mes pensées bien affectueuses.

Adrienne

Je vous enverrai d’ici peu une autre copie corrigée.