Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Jean Paulhan à Benjamin Crémieux, 1932-01-27 Paulhan, Jean (1884-1968) 1932-01-27 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1932-01-27 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

le 27 Janvier 1932

Mon cher Benjamin,

Ta lettre est bien surprenante ; et ce n'est pas le mot affectueusement, qui la termine, qui m'a le moins surpris. Je pense que tu l'as écrite dans un moment de colère, et qu'elle te semble à présent aussi injuste qu'à moi. Je veux le penser du moins. Mais je te réponds.

La note d'Arland, où il est question de R.C. a paru dans la revue telle exactement que tu l'avais lue en épreuves. Tu la trouveras dans la NRF du Ier février 31, page 280.

Tu me reproches de « m'abriter derrière le Comité ». Or c'est toi qui m'as conseillé, à propos d'une nouvelle que j'avais refusée à Girard, de ne pas refuser en mon nom (ce qui avait fait dire à Girard : « mais enfin, qu'est-ce que c'est que ce Paulhan, d'où sort-il ? Etc. » Je te répète ce que je tiens de toi) mais au nom du Comité. Ce que j'ai fait, en effet, dans la suite, assez souvent. Sur ton seul conseil – qui venait d'ailleurs, il me semble, d'une gentille intention.

Tu me dis d'autre part que les « directives » du Comité ne sont pas suivies. Lesquelles ? Précise. Je ne vois trace de directives dans tes autres critiques. Et il n'a jamais été question entre nous d'une attitude immuable à prendre en face du populisme et du prolétarisme. Nous avons parlé de tel livre (populiste), de tel roman (prolétarien) ; nous avons jusqu'à présent ignoré le populisme. Cela ne me paraît pas si sot, ni si injuste. Mais enfin la question peut se discuter. Parlons-en au prochain Comité, si tu veux. Jusque-là il me semble que tu te contredis.

J'en viens aux notes que tu cites :

Ce n'est pas moi qui ai « déniché » Massot : c'est Gide qui me l'a proposé. J'ajoute qu'il m'a paru juste que l'opinion de Gide sur Herbart (opinion que je suis très loin de partager) fût exprimée dans la revue.

Ce n'est pas moi qui suis « allé chercher » Drieu ; c'est lui qui s'est proposé. J'ai eu plusieurs raisons pour l'accepter : 1- je venais de refuser une nouvelle à Drieu et j'étais content de pouvoir lui marquer, sur un autre point, notre estime ; 2- le livre est, je crois (et je continue à le penser après la Politique et les Partis)Publié en 1932. le meilleur que Berl ait écrit ; 3- enfin c'est de Drieu beaucoup plus que de Berl (comme il était déjà arrivé pour Huxley et pour Malraux) qu'il s'agissait dans la chronique.

C'est également Fombeure qui m'a proposé de parler de Giono (et ne vois-tu pas l'enfantillage du machiavélisme que tu me prêtes. Je serais aller chercher Drieu pour te « faire oublier », Fombeure pour te « faire oublier ». Me diras-tu que tu plaisantes ? Mais alors tu as tort de mêler des plaisanteries à des reproches, qui pourraient être graves). Et je t'avouerai que la note de Fombeure m'a paru sévère pour le Grand Troupeau. Mais peu importe.

Le reste est plus léger encore, s'il se peut. Pourquoi diable veux-tu que j'aie tenu à « faire louer » Cassou ? Rougemont tenait à parler de Sarah ; sa note m'a semblé intéressante – et je crois qu'il est bon de laisser la plus entière liberté à un nouveau critique, que l'on met, en quelque sorte, à l'essai (la note suivante de R. sur Ramuz, m'a paru remarquable). Et Gidon que je ne connais pas ? C'était son premier livre ; et un livre intelligent, assez charmant (relevant d'ailleurs d'une sorte de littérature gnostique, dont le secret est perdu – et par là supérieure à BoylesveRené Boylesve (René Tardiveau) (1867-1926), célèbre entre autres pour son Parfum des îles Borromées et les Souvenirs du jardin détruit., qu'il évoquait parfois). Groethuysen désirait en parler. C'étaient autant de bonnes raisons.

Je ne parviens à rien voir, dans tout cela qui soit le moins du monde impur, bien au contraire. Et tu n'y parviens, toi, qu'en me prêtant, d'une part, cette intention machiavélique de te « faire oublier » - qui est tout de même un peu invraisemblable - ; en imaginant d'autre part que c'est moi qui ai appelé, provoqué, formé de toutes pièces de telles notes. Ce qui se trouve être faux.

Non, je t'assure que ta lettre ne m'a pas fâché. Je ne t'ai pas répondu tout de suite. J'ai tâché de me trouver des torts. Si j'en ai, ils ne sont pas là. Mais j'en viens à ton reproche principal – à ton seul reproche.

Il y a quelques mots grossiers, qui sont de trop dans ta lettre. Je n'ai jamais pensé, ni dit, ni écrit, - je ne téai [t'ai] même pas écrit à toi- que les romans de Marie-Anne étaient « des parias qui dégoûtaient tout le monde » (je t'ai toujours parlé et j'ai parlé à Marie-Anne franchement, de ses deux romans) – ni que tu étais « un quelconque Pourtalès », ni que vous étiez incontentables, pires que les autres », etc. Laissons tout cela.

Il est vrai cependant que l'application, la violence, l'âpreté avec laquelle tu as travaillé au succès de Rose Colonna m'a surpris – venant de toi, qui d'une part, es si délicat quand il s'agit de tes livres, et d'autre part sais si bien que les articles et les notes comptent, au fond, assez peu dans le succès véritable d'un livre. Il me semble que Marie-Anne, si elle t'avait vu, en aurait été plus surprise et plus gênée. Il me semble que toi-même si tu avais pu te voir …

Laissons encore cela. Nous avons eu, sur Rose Colonna, avant que le livre ne parut, cinq ou six entretiens. Nous espérions d'abord, tu le sais, obtenir une note de Malraux. Quand il a été certain que Malraux ne nous la donnerait pas, j'ai télégraphié à Marcel [Arland], d'accord avec toi. La note de Marcel t'a déçu, nous avons demandé à Marcel de la reprendre (la note de Rival que tu m'as montrée à ce moment était, tu dois bien le reconnaître, impubliable. Il n'a jamais paru dans la NRF une note sur ce ton – sur ce ton de dithyrambe continu, avec tant d'allusions personnelles ; elle nous aurait rendus ridicules. Relis-la, et tu serais de mon avis.). Dans les mois suivants, tu le sais, j'ai demandé la note à nos amis sans pouvoir l'obtenir. Tu me dis qu'en ce cas j'aurais dû l'écrire moi-même. Quelle idée te fais-tu d'une note et de la façon dont on l'écrit ? Non, cela ne me paraît ressembler d'aucune manière ni à un service que l'on rend, ni à un devoir que l'on remplit.

Sur Violette Marinier, bien avant que le livre ne sortît, j'avais demandé une étude à l'un de nos collaborateurs – qui s'était d'ailleurs montré désireux de l'écrire. Il ne me l'a pas envoyée, mais à sa place une lettre embarrassée – où il me demandait, entre autres choses, de ne pas te parler de lui. Là-dessus, je me suis adressé à Pourrat.

Il est certain que la note de Pourrat pouvait donner le sentiment d'une note de complaisance, par le contraste d'une sorte de réserve continuelle (qui se marquait pourtant nettement sur un ou deux points) et de nombreux éloges. À vrai dire, c'est là le ton habituel des notes de P. Je crois que la complaisance n'y était pas du tout.(J'en suis même sûr, après ce que m'a dit Pourrat). Mais peu importe. La note t'a déplu, nous avons décidé de rendre à Pourrat son papier, et de demander une étude à Ramon Fernandez.

C'est cette étude que j'ai attendue pendant plusieurs mois. Fernandez a d'abord pensé qu'il l'écrirait probablement (à la fois sur R.C. et V.M.), m'a demandé quelques semaines de réflexion, m'a dit enfin qu'il n'était pas satisfait de ce qu'il avait écrit et qu'il préférait ne rien nous donner – que d'ailleurs sa note contiendrait, ou semblerait contenir, plus de réserves que celle de Pourrat. Tu me dis que c'était une « petite trahison » que de montrer à Fernandez la note de Pourrat. Pourquoi ? Je ne le comprends pas du tout. (À vrai dire, je ne me suis soucié ni de la lui montrer, ni de la lui cacher) etA partir de « et », jusqu'à la fin de la phrase, mots manuscrits. R. F. [Ramon Fernandez] connaissait, pour vous en avoir entendu parler au comité, l'existence de la note de Pourrat.

Après Fernandez, je me suis adressé à un autre de nos amis. Mais peu importe. Et tu sais que si j'avais pu obtenir une étude de Schlumberger ou d'Arland (d'ailleurs navrés, comme moi – et nous en avons plus d'une fois parlé ensemble – que la NRF n'ait rien dit des livres de Marie-Anne) je l'aurais donnée avec joie. Quand je t'écris, là-dessus, que non seulement j'ai fait tous mes efforts pour obtenir une note, mais que ces efforts encore dépassaient incontestablement (je n'en marquait [sic] aucun regret) les limites de la justice, tu te mets en colère et tu m'accuses d'avoir manqué à l'amitié, de n'avoir ni simplicité ni franchise, d'avoir méjugé Marie-Anne... En quoi ? Où ? Pourquoi ? Tout cela est simplement fou.

À toi, tout de même.

JP

Un mot encore. Mon sentiment est que ce n'est point du tout (comme tu me le fais dire) un défaut du livre de Marie-Anne qui a embarrassé nos amis mais bien sûr l'article que tu avais écrit, toi le premier, sur Rose Colonna, dans les Annales. La chronique de Crémieux, « Les Livres », dans Les Annales politiques et littéraires du 15 juin 1930, p. 873-874, est consacrée pour un tiers à un éloge de Rose Colonna, exemple du « renouveau du roman romanesque, tel que George Sand et, plus récemment, nombre d'écrivains anglais l'ont conçu ». (La précédente chronique, celle du 1er juin 1930, p. 827-828, salue la publication en édition courante du Guerrier appliqué, que B. Crémieux défend contre les attaques de Jean Norton Cru dans Témoins.)