Merci. C'est un texte bien précieux pour moi. Sur Stéphane, laissez-moi compléter ma réponse.
I. St. dit que l’illégalité du Gouvernement Pétain « n’est niée par personne. » Je réponds en lui citant un communiste (Hervé), un conservateur chrétien (Mauriac), un radical (Herriot) qui tous trois tiennent Pétain, de 40 à 44, pour légal. Que veut-il de plus ?
II. Mais les juristes, me dira-t-il, le tiennent illégal. Non. Ils se divisent en quatre groupes, dont les uns (Bonnard) le tiennent pour légal et légitime, les autres (Waline) pour légal et illégitime, les troisièmes pour illégal et légitime (Laferrière), les derniers (Vedel) pour illégal et illégitime. Tous, sur d’excellents arguments (I).
III. Je prends même l’argument de Vedel, dans son Manuel de droit . Il s’appuie sur deux faits : I. Pétain, chargé par l’Assemblée Nationale de promulguer une nouvelle Constitution s’est borné à promulguer des actes constitutionnels. 2. Pétain, invité par l’Assemblée Nationale à faire ratifier sa Constitution, n’a jamais réuni les Chambres qui seules étaient à même de lui donner cette ratification.
Il m’est difficile de prendre au sérieux ces deux arguments.
1. Comment réunir les Chambres, comment faire des élections avec la moitié de la France occupée, avec l’absence de deux millions de prisonniers ? Pétain ne pouvait guère qu’attendre.
2. La décision de l’A.N. invitait Pétain à promulguer, « par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution ». Eh bien, il a pris précisément ces actes, attendant – étant bien forcé d’attendre – pour promulguer et faire approuver sa Constitution complète, la fin de la guerre. Aucune date, au surplus, ne lui était fixée .
IV. Mais je veux même admettre que l’argument de Vedel est décisif, et que le Gouvernement Pétain est devenu, à compter du 11 Juillet, illégitime : simple gouvernement de fait . Il est de tradition constante dans le Droit français qu’un tel Gouvernement, s’il n’a pas le droit de faire des actes de disposition , garde le droit et le devoir de faire des lois et des règlements d’administration lesquels deviennent obligatoires dès leur publication dans le Journal Officiel (décret du 5 Nov. 1870). Donc (et c’était toute la question) dans le cas même où l’on tiendrait Pétain pour illégal, les officiers, les magistrats, les fonctionnaires et les agents de Vichy continuaient, du strict point de vue légal, à lui devoir obéissance : tout au moins jusqu’au 26 Août 1944, date à laquelle le J.O. passe aux mains de Gaulle.
(I) Tous d’ailleurs, sont professeurs de Droit, et auteurs de Manuels de Droit Constitutionnel qui font autorité.
Voilà. Il me semble que je n’ai rien oublié. Affectueusement à tous deux
Mais vous semblerait-il absurde de dire : il arrive sans doute que les juristes soient en complet désaccord (cf. II). C'est un désaccord grammatical, qui porte sur le sens d’un terme, sur la portée d’une loi, sur la pérennité d’une interprétation. Ainsi les grammairiens disputent, à perte de vue, s’il est ou non correct (légal) d’employer, par exemple, l’expression : malgré que [je me sois efforcé de…] ou : défense de faire appel à quiconque : mais, sitôt que Chateaubriand, ou Buffon, ou Valéry a employé cette expression, eh bien, on admet qu’elle est correcte : qu’elle est entrée dans l’usage. Ainsi, je voudrais proposer d’admettre que l’interprétation de la loi, donnée par un grand Ministre, peut faire, dans un cas douteux , autorité ; et qu’en fait, dans ce cas-ci, il suffit pour donner à Pétain qualité de gouvernement, de ce mot d’Herriot, écrit le 16 Août 1944 : « M. Laval, chef du Gouvernement. »
(Je vois bien qu’ici je voudrais innover. Mais comment faire autrement, quand les spécialistes – en fait, les juristes – sont en désaccord?)
J'aurais évidemment dû exposer tout cela plus patiemment, plus longuement. À vous
Je songe beaucoup aux toiles de Cassilda. Vraiment, plus préoccupé chaque jour par ce qu’elles ont d’unique .