JEAN-JACQUES PAUVERT
39, RUE DES COUDRAIS. SCEAUX (Seine)
Mercredi [1951]
Cher Monsieur,
j’ai été très sensible à votre accueil de lundi. Il fallait que je vous remercie encore d’un moment qui m’avait été si agréable (1).
Je vous serre la main
Jean Jacques Pauvert
Et de cette profusion d’imprimé. Je me suis précipité sur la « Petite Préface... » J'y ai retrouvé cette clarté d’expression, donc de pensée du livre sur Sade, qui me touche plus qu’aucune poésie. Valery raconte que devant un poème excellent il se disait « Voilà qui chante tout seul ». Voilà qui parle tout seul ; c’est pour moi le sommet de l’art, quand il s’agit surtout d’une démonstration si délicate que toute complaisance à l’entortillement y serait excusable. Quant un sujet lui-même, c’est un des deux ou trois qui me tiennent à coeur, moi qui n’ai jamais pu lire de critique littéraire contemporaine sans avoir envie d’aller trouver son auteur pour lui dire « Expliquez-vous », cette phrase avec laquelle, paraît-il Genet a si fort embarrassé Cocteau quelquefois au milieu de ses jongleries. Cette phrase qu’il fallait bien un jour que quelqu’un prononce [tant et tant] face à cette immense conspiration du silence qu’est la littérature moderne. Il n’y a pas un écrivain, sitôt qu’il est reconnu pour tel, qui ne se pense aujourd’hui comme le dépositaire, le grand prêtre, d’on ne sait quelle parole divine dont il ne saurait être responsable, à peine est-il le retransmetteur. « Expliquez-vous ». Ce ne sont pourtant que des hommes, comme vous et moi, qui cherchent à se faire entendre et qui utilisent de cent façons les [accessoires] bien limités et affreusement (pourquoi affreusement?] matériels : D'autres livres, des mots, des dictionnaires, des grammaires.
Le sujet vérittable de « Petite préface à toute critique » c’est « Qu'est-ce que la littérature ? « Il faut y répondre dans l’esprit de la Bruyère : « Il faut plus que de l’esprit pour être auteur. C'est un métier que de faire un livre comme de faire une pendule ». Reste à faire un « Traité du Livre » qui serait bien le premier.
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C'est ce que j’attends de vous avec impatience, puisque vous avez commencé. Car « Petite Préface », n’est-ce pas, ce n’est qu’une introduction à ce qui fera un gros livre ?
Votre livre
JJP