Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Pascal Pia à Jean Paulhan, 1936-10-17 Pia, Pascal (1903-1979) 1936-10-17 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1936-10-17 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Samedi 17 oct. [octobre] [1936le 17 octobre 1936 était un Vendredi] Chers amis,

J’ai trouvé votre lettre en rentrant de congé. On avait projeté Suzanne et moi d’aller en Espagne, d’abord par curiosité, et ensuite par économie, mais on n’a pas pu entrer. Depuis le début de septembre, la frontière était fermée et il aurait fallu, pour forcer la consigne, des autorisations barcelonaises que nous ne possédions pas. On est donc restés dans les Pyrénées-orientales. Et vous, qu’avez-vous fait ?

Je viens d’apprendre à l’instant par un de mes amis, Robert Chatté, qui vous a téléphoné, que vous étiez rentrés à Paris. Etes-vous allés jusqu’à Port-Cros? Ce serait impardonnable alors de n’avoir pas fait escale à Lyon. D’ailleurs, on ne vous y a pas vus non plus davantage lorsque vous avez dû aller en Suisse mettre de l’ordre dans les papiers de [Albert] ThibaudetIl semble que ce soit en Mai 1936 que Jean Paulhan ait passé quelques jours à Genève, puis à Tournus, pour classer et trier les papiers laissés par Thibaudet, avec Léon Bopp Je sais bien que Germaine n’aime pas Lyon - nous non plus - mais ce n’est pas une raison pour être à ce point infidèles.

Le Chatté qui vous a téléphoné est un malheureux personnage, un neurasthénique né dont l’ascendance morbide est assez lourde. Fils de paralytique - son père est mort alors quand lui avait 5 ou 6 ans. Je crois vous avoir déjà parlé de lui. Il a, pendant des mois, été voir [Blanche] Reverchon ; ça n’a pas donné grand’chose, et pour l’instant - depuis six mois - elle Reverchon se refuse à le voir (j’ignore si [mot illisible] cet abandon fait partie du traitement ou non). Cependant elle l’a aiguillé vers un certain abbé [Jivry?] prêtre psychanalyste, en qui il ne manifeste aucune confiance. Si vous connaissiez un autre dr [docteur] psychanalyste, qui consentirait sinon à le soigner, du moins à le voir une ou deux fois, vous l’aideriez peut-être à apaiser une inquiétude et un désespoir atroces. Une autre manière de l’aider serait aussi de lui indiquer sinon un travail régulier, du moins une occupation qui lui prendrait une partie de la journée

ça lui serait utile àplusieurs égards : d’abord, ça lui apporterait un peu de fric ; puis ça l’obligerait à sortir de lui-même pendant qq [quelques] heures.

. Quand il retrouve un peu de paix, et que ses talents de débrouillard de la Chapelle reprennent le dessus, il arrive à vivre et à faire vivre un de ses amis, un dessinateur hollando-javanais (et bègue par dessus le marché) nommé ElsenThéodore Van Elsen (Java, 1896 - Paris, 1961), peintre, graveur, illustrateur et dessinateur d’humour en vendant aux journaux les dessins de celui-ci. Pour ma part, je leur fournis les légendes idiotes dont ils ont besoin.

Je comprendrais très bien, occupés comme vous l’êtes, que vous ne teniez pas à voir ce malheureux type. Mais si vous avez un tuyau qui puisse lui être utile, écrivez-moi, je lui transmettrai. (A tout hasard, son adresse est : Robert Chatté, 32 bis rue d’Orsel, Paris 18è). J’oubliais de vous dire qu’il pourrait faire un vendeur de librairie aussi bon qu’un autre. Il a travaillé autrefois chez un libraire de la rue Castiglione, et s’est occupé longtemps de vendre lui-même des bouquins d’occasion à des libraires.

J’avais appris la mort de [Eugène] Dabit par les journauxEugène Dabit est mort le 21août1936 à Sébastopol. Quelle triste fin, en effet. Je le connaissais peu ; cependant nous avons tous dîné ensemble un soir à Châtenay [-Malabry], et je n’avais gardé pour lui que des sentiments sympathiques. Ça devait être quelqu’un de très bien, et ce qu’en dit Gide renforce en moi cette impression.

Ecrivez nous de temps en temps. J’espère que d’ici la fin de l’année on trouvera, Suzanne et moi, l’occasion d’aller passer 3 ou 4 jours à Paris. Vous n’imaginez pas ce qu’on peut s’emmerder ici. Espérons que l’hostilité de la ville nous sauvera de la crétinisation absolue et qu’on ne sera pas complètement abrutis quand on aura passé encore 2 ans ici et payé [nos?] dettes. A bientôt vous deux et toutes nos vieilles et chaudes amitiés.

Pia