Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Paul Pilotaz à Jean Paulhan, 1952-01-30 Pilotaz, Paul (1905-1997) 1952-01-30 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1952-01-30 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
30-1-52

Qui eût dit, Monsieur, qu’il vous appartiendrait d’ajouter aux innombrables tristesses du temps actuels la tristesse des reniements ? Un hebdomadaire grand public répand à centaines de milliers d’exemplaires votre « honte » d’avoir été résistant ) Combien parmi ceux qui vous liront sauront-ils démêler le caractère spécieux d’un raisonnement qui ne vous a certainement pas convaincu vous-même. Car enfin, Monsieur, souvenez-vous, pour les authentiques résistants – mis à part quelques aventuriers – La résistance n’a été que l’application pratique d’une révolte de la conscience individuelle et nationale – Et alors, comment regretter, comment renier une révolte de la conscience ? En avoir « honte » pour reprendre votre mot -

[mot illisible] si des injustices ont été, ou n’ont pas été, commises par la suite, c’est là une toute autre question que vous embrouillez avec la première et qui se relie à l’éternel problème des grands mouvements populaires et de guerres. Il reste d’ailleurs à prouver qu’elles furent le fait de ces mêmes authentiques résistants – Votre attitude actuelle contribue à accroître une confusion vivement souhaitée à titre de revanche, et par la minorité agissante qui présentera les résistants, et pas ceux, plus monstrueux, qui furent trop [veuls?] trop attachés à des intérêts matériels ou simplement trop indifférents pour s’indigner sous l’occupation et prendre leur part d’un combat dangereux. Quelle aubaine pour eux de se voir apporter par un esprit brillant et à grand fracas de [spécieux?] justificatifs de leur comportement, et de plus, quelles délices ! aux dépens des combattants !

En somme, d’une part, votre reniement prouve qu’il existe dans votre esprit – mais y existe-t-elle vraiment ? ) une confusion de notions et de valeurs que l’on est en droit de s’étonner de trouver chez un Paulhan, d’autre part, permettez-moi de vous faire remarquer qu’il eût été plus courageux que votre indignations, si elle est sincère, se claironnât plus tôt, alors qu’elle n’était pas soutenue par l’inévitable reflux d’une partie de l’opinion publique – c’est en cela – Monsieur, qu’aidant le Babbitt, vous êtes vous-même Babbitt.

Comment ne sentez-vous pas, Monsieur, que les jeux intellectuels auxquels vous vous plaisez, et dont, j’en suis sûre, vous savez admirablement démonter le mécanisme, déceler les failles et les absurdités, sont sans danger tant que vous les gardez pour vous-même, mais méritent d’être sévèrement jugés lorsque vous les répandez, sans pour autant, comme la plupart des écrivains, concevoir qu’à une influence plus grande correspondent des obligations morales et une responsabilité plus grandes également ?

J'ai tenu, Monsieur, à vous faire part de ces réflexions qu’il vous appartiendra évidemment de traiter avec dédain. Mais je ne peux davantage, sans protester, supporter votre attitude actuelle que je n’ai pu il y a quelques années, [deux mots illisibles] supporter les hideurs de l’occupation et de la collaboration – vous me direz qu’il n’y a pas de commune mesure entre vous et un drame national ) Si cependant, car votre influence contribue elle aussi à diviser, à troubler, dont à affaiblir les Français en tendant inconsidérément à tous vents de perfides arguments pour salir ce qui fut tout de même de plus beaux et de plus [mot illisible] de notre pays -

Veuillez croire, Monsieur, à toute la tristesse avec laquelle j’ai écrit cette lettre, où j’aurais aimé pouvoir vous assurer de mon admiration -

[signature illisible]

Madame Pilpoul

30 AV. Charles Floquet – Paris (7è)

femme d’un F.F.L

arrêtée pour résistance

Prison de Fresnes

Camp de Romainville

Camps de Sarebrück (Neue Bremme)

Camps de Ravensbrück

Camps de Buchenwald Shonefeld

actuellement malade des suites de déportation

et, pour qu’il n’y ait aucune équivoque, non-communiste.