Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Roland Purnal à Jean Paulhan, 1950-07-22 Purnal, Roland 1950-07-22 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1950-07-22 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
Le 22 Juillet 50. Cher Jean,

Ton message et quel message, TON message qui me parvient dans le temps même où je m’apprêtais à t’écrire, TON message qui me bouleverse, car il porte au comble mes remords, etc...

Que te dire et comment te dire , Je ne sais comment te marquer ma gratitude;

Ce travail, rien que ce travail. Je me suis épuisé par une trop longue tension d’esprit. Est-ce la faiblesse de cet esprit qui me rend si méticuleux ? (Donc, quand un esprit manque d’ouverture, et que l’orgueil le fait aller jusqu’au masochisme...)

Il faut toujours que je m’épuise en conjectures, que j’épilogue sur tout ce que je trouve et m’achoppe au moindre détail.

J'ai beau me dire que j’ai atteint la cinquantaine, qu’il est temps d’exécuter et d’accomplir, je n’arrive pas à me délivrer de ce scandale. Chaque matin, je redonne dans les excès que j’ai condamnés la veille.

Depuis trois bonnes années en ça, j’ai défait et redéfait vingt fois le même ouvrage (et j’en ai HUIT sur le métier !)

On ne saurait imaginer pire solitude. Tu sais à présent le pourquoi de mon silence abominable;

Que s’il t’agrée d’ouïr un jour quelque confession plus substantielle, je suis prêt à te la faire de vive voix.

A l’heure qu’il est, je crois tout de même que je suis SORTI de l’impasse.

Je t’entends d’ici me soufflant avec un drôle de sourire : « C'est égal, on s’en souviendra de cette planète! »

Est-il besoin de te le dire ? Moi qui fais le hibou, qui suis noir à faire peur, le temps me dura dans MA spélonque.

Atrocement ! Ce n’est donc pas de gaieté de coeur que je retarde d’en sortir à tout jamais ! (Tant, à mes yeux, tout porte ici le signe de la peste).

Mais quoi ? Sans argent et sans manuscrits, que pourrais-je faire en ce Paris que pourtant j’aime plus que tout au monde.

Autant dire, rien.

Ah, combien j’ai regretté souvent de n’avoir pas souscrire d’emblée à l’invite si généreuse de Marcel Arland ! (« Pays », « Paysage »).

De toutes les fautes que j’aurai commises dans ma vie, c’est à coup sûr la plus lourde, et je la paie aujourd’hui atrocement cher.

Mais voilà : que devenait l’oeuvre à faire dans ces conditions ? Q'on le veuille ou non , la chronique théâtrale est un métier qui vous tient fort sujet.

Je l’avoue, j’ai manqué de crête.

Pour m’en tenir à l’heure présente, j’ai commencé de recopier l’un des manuscrits en question. Je présume qu’il sera fin prêt à la fin du mois prochain.

(Cela s’intitule : « Fanfare pour conjurer la Peste »)

Après quoi viendront (assez vite) « Don Miguel de Toro »

et... Mais te je parlerai de tout cela dans quelque autre lettre... Aujourd’hui, c’est vrai, je suis tellement déchiré que je puis à peine m’énoncer.

Adieu, cher Jean. Veuillez me rappeler au bon souvenir de Madame Paulhan

Comme à celui du cher Arland,

il va sans dire.

Adieu encore; Je t’embrasse de toutes mes forces.

Roland Purnal

14 rue Delannay

Froidmont (par Tournai).