Je suis saisi de remords en recevant vos excellents vœux. Nous n’avons pas envoyé un mot, pas une carte. Nous vivons confinés dans ce quartier du Point du Jour, qui ne gagne pas à être connu. L’argent est rare, ce qui assombrit l’humeur de Véronique, surtout maintenant que la question de l’essence s’y ajoute.
Nous voulions aller vous dire bonjour mercredi ainsi qu’à Dominique. Mais il m’est tombé des corvées – qui ne rapportent d’ailleurs rien – sur le dos.
Mes récits, cher Jean, ne peuvent paraître, comme je vous l’ai déjà dit, que lorsque j’aurai publié quelque chose d’important. J’ai repris un manuscrit abandonné l’été dernier à la 250e page. Il me semble que ça marche, mais pour devenir aussitôt kilométrique. J’ai l’impression de ne plus être le maître de la mécanique. Faut-il s’y abandonner ? J’aurais voulu m’évader de cette forme romanesque dont j’ai pris l’habitude. Mais c’est sans doute hors de mes moyens, ou encore trop tôt… Je voudrais travailler cinq ou six ans à un livre, qui aurait cinq cents lecteurs, voilà la vérité. D’autre part, j’ai des choses à dire qui ne peuvent pas attendre aussi longtemps !
Bref, je pense que vous aurez un manuscrit de moi dans le courant de cette année.
J’espère que nous aurons lu auparavant votre livre sur la peinture. J’y compte d’autant
Si j’arrivais à trouver une besogne qui m’assurât notre matérielle, je crois que cela serait profittable au roman. J’y travaillerais avec plus de liberté d’esprit.
Vous vous demandez si 1957 ne va pas être encore plus inquiétant que 1956.Tout porte en effet à le penser. Mais je vous avouerai que je n’arrive même plus à m’inquiéter. Ce qui domine tout pour moi, c’est que [rature illisible] cette atmosphère cléricalo-démocratique me devient absolument irrespirable. La démocratie toute seule, ce serait encore supporttable. Mais avec les curés, non !
À bientôt, cher ami. Merci de vos bons vœux. Nous vous envoyons tous les nôtres, Véronique et moi.
Bonne année, et bien affectueusement à vous.