R[hodes ?]
J’ai envie [de] te raconter une petite histoire.
Tu dis « ne t’en prive pas ».
Elle se passe ces jours-ci. Tu connais Miss Thomas. Elle qui a toujours été si gaie, si pleine de resources [ressources] était devenue triste, soucieuse, minée par quelque chose.
J’attendais ses confidences.
La dernière fois qu’elle est venue me voir, elle avait retrouvé son humeur habituel [habituelle]. Je m’en étais aperçue tout de suite, elle affrontait la vie avec assurance.
« Vous avez de vieux journaux ? » « Mais oui. » « Beaucoup, beaucoup ? » « Venez voir. » Ils s’empilaient depuis deux mois et demie, j’avais oublié de les faire enlever avec les [?]
« Vous me les donnerez ? je puis les emporter ? » « Certainement. » Je trouvai pour elle un grand sac en carton. Elle le mis [mit] par terre, elle foura [fourra] les journaux dedans avec grand sérieux les forçant dans les coins.
« Vous allez être bien chargée pour rentrer comme ça. » Elle se releva, les joues rouges – « je vous expliquerai ». Miss Thomas est membre d’une communité [communauté] dissidente dont le nouveau Pasteur, jeune et plein de zèle, s’est ingénié de trouver moyen de secouer ses brebis quelque peu endormies. Il a proposé que chacun se prive de quelque chose jusqu’à Pâques au profit des rénovations de leur temple qui en a besoin.
Nous connaissons les jeûnes classiques depuis la carême catholique jusqu’à la semaine de dévouement de l’armée du Salut.
Mais chez les dissidents, c’est du nouveau.
Miss Thomas veut prendre part à toutes les bonnes œuvres. Aussi elle désire encourager le jeune Pasteur. Mais que faire ? Il ne s’agit pas simplement de donner de l’argent, d’ailleurs elle en a peu, il faut se sacrifier personnellement.
Elle mène une vie très simple, elle ne s’offre jamais de spectacles, elle mange si peu qu’avec moins elle s’affaiblirait, de se priver de chauffage également, elle prendrait mal et puis des amies lui ont donné du charbon pour ses étrennes, ce ne serait pas gentil de ne pas s’en servir.
Enfin n’aura-t-elle rien à offrir à Dieu qui lui a donné la vie et l’intelligence et le don de savoir aider aux autres qui lui fait tant de plaisir à exercer.
Peut-être a-t-elle fait part à Dieu de sa difficulté [ ?]
L’idée lui est venue subitement, éblouissante et si simple ! Elle n’achètera plus de bois ni d’allume-feu jusqu’à Pâques. Elle s’est souvenue que pendant la guerre quand on ne pouvait pas avoir du bois, on s’est fait d’allume-feu de journaux. On les froissait, on les tirait, on les tordait, on les roulait en coques et les voilà prêts.
« Cela me fait travailler, je donne aussi mon travail mais j’aime en faire beaucoup à la fois parce que c’est salissant pour les mains ».
Au revoir Jean.