Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Bertha Rhodes à Jean Paulhan, 1929-06-16 Rhodes, Bertha 1929-06-16 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1929-06-16 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
16 juin

4 Blackburne Terrace,

Liverpool

Quand ta lettre, ta longue lettre m’est arrivée je fus au lit. J’avais une méchante crise de foie comme je n’en avais pas eu depuis presque deux ans. A présent, je vais mieux. Mais elle est très bien ta lettre, je l’ai lu [lue] même deux fois tout de suite. Tu as très bien décrit ce que tu as senti je l’ai bien suivit [suivi]. Si je fus à ta place, c’est-à-dire, si j’avais une revue et le reste le sentiment de responsabilité me pèserait tout le temps comme ça, moi j’ai facilement des soucis. J’ai été souvent émerveillée par la facilité avec quoi tu entreprends les projets et endosses les responsabilités. Tu as raison de remarquer que, quand tu as des idées noires ou étranges, tu es malade

Je te supplie de mettre cette idée quelque part dans ta tête où elle se retrouvera quand tu as besoin d’elle, surtout quand ta chère femme ne soit [n’est] pas à côté de toi pour te la faire rappeller [rappeler].

Il ne te faut jamais négliger un [une toux ?]. Les [toux ?] fatigue [fatiguent] le cœur.

Non, je ne vais pas t’ennuyer avec ça mais tu sais bien que j’ai raison.

Tu sais ta Maman m’a guérit [guérie] d’une bronchite il y a 23 ans je n’en ai plus eu mais c’est vrai que je tâche à être prudente. Tu sais il ne faut pas penser à quitter ce monde de sitôt, tu n’as même pas mon âge. Moi, malade, je suis engourdie mais toi tu fais une maladie attachanteEn juin 1929, Jean Paulhan souffre d’une bronchite..

Il ne faut jamais hésiter à se soigner de peur d’être ennuyeux aux autres. Je ne sais pas si tu te rends compte que tous tes gestes sont gracieux cela fait que tu es intéressant ou même supportable quand un autre ne le serait pas…

Les Supervielle ont dû être en soucis pour leur fils. Est-ce qu’ils seront à Port-Cros cette année ? Et Port-Cros, quand comptes-tu y aller ? C’est domage [dommage] le « blanc-nez » peut-être encore bu [trois mots illisibles]. Dites si vous venez à Londres, ne pouvez-vous pas pousser jusqu’ici, je serais enchantée.

Miss Cooper m’annonce qu’elle doit arriver dimanche le 23. Elle restera 2 ou 3 jours. Je ne pourrai pas vous donner une chambre ici en même temps qu’elle mais je prendrai une chambre à l’hôtel pour vous recevoir si vous arrivez à ce moment-là. Pensez en [y] dites moi. Je vais demain lundi à Windermere pour deux ou 3 jours. Il me faut voir Arthur, aussi si on a bien peint la maison.

A propos de peinture, j’aimerais vous envoyer de la bonne couleur de notre fabrication à la VigieIl s’agit du fort de la Vigie où logent les Paulhan lorsqu’ils sont à Port-Cros. pour finir de peindre les portes et fenêtres si ce n’est pas fait et que cela vous fasse plaisir. De vert comme on a déjà n’est-ce pas ? Et faut-il l’adresser chez BertholdIl s’agit de M. Bertho qui fournit les provisions nécessaires aux habitants de Port-Cros. ? Salins de Heyres [Hyères].

J’ai lu le premier livre volume de Remy de Gourmont mais pas encore le deuxième il a des idées intéressantes parfois. Je viens de lire « Le Survivant »Jules Supervielle, Le Survivant (Grasset, 1927). je l’aime beaucoup. J’avais lu un grand morceau dans Commerce je le retrouvai avec plaisir. Je chercherai d’autres livres de M. Supervielle quand je reviens à Paris.

2.

Il décrit avec tant de délicatesse. Il est charmant.

Je n’ai pas lu le numéro juin de la revue mais je vois qu’il y a quelque chose de Henry [Henri] MichauxHenri Michaux, Ecuador (La NRF, n° 189, juin 1929, pp. 789-800)..

Ma visite à « Brockhampton Park » s’est bien passé [passée]. C’était la veuve du cousin de mon père, le cousin Fairfax qui m’avait envoyé [envoyée] à Paris pour étudier l’artBertha Rhodes avait été l’élève à Paris du peintre Jean-Paul Laurens.. Mrs Rhodes est sa seconde femme, elle m’invitait avec insistance, j’aurais préféré d’aller une autre fois parce que j’ai assez à faire à présent. C’est intéressant d’aller de temps en temps où tout se passe très soigné. Mais je ne l’aimerais pas pour toujours. Je me sens trop surveillée quand une femme de chambre me sors [sort] la robe, les bas et tout ce que je dois porter. Je [me] rebelle. Je me mes [mets] toujours autres choses. Un soir nous dinâmes Mrs Rhodes et moi ensemble dans la grande salle à manger, les plats bons et le service bien fait. Nous parlions doucement des choses pas importantes. On avait remarqué qu’il y avait peu de mûriers dans le pays, de là on parla de vers à soie. Pour continuer à dire quelque chose, je racontai une petite histoire du petit fils d’une amie. Le garçon tout petit avait 3 vers à soie qu’il aimait beaucoup, il les nomait [nommait] « Pip », « Squeak » et « Wilfred » après les trois héros des enfants Pip, Squeak et Wilfred, nom d’une bande dessinée britannique publiée dans le Daily Mirror de 1919 à 1956 qui narre les aventures d’une famille d’animaux orphelins : Pip (le chien), Squeak (le pingouin) et Wilfred (le lapin).. Un jour, il courait à sa maman, il était très agité, il criait : « Wilfred est perdu ». La maman mit son chapeau et elle court vite chez une amie dont le fils se nomait [nommait] Wilfred, un ami de son petit. Mais il fût tout sauf. Ce ne fut que le vers à soie qui était perdu. Tout à coup il y avait auprès du buffet les assiettes qui dégringolaient et les plats qui se choquaient et le valet qui sortait précipitament [précipitamment] de la pièce. « C’est dit Madame très tranquillement que le nom du valet est Wilfred ». « Je ne le savais pas, je dis, rien de personnel. » Le maître d’hôtel dit que le valet fut tellement amusé qu’il ne pouvait plus. Madame dit « en effet » si on compare cette longeur [longueur ?] de Wilfred à un vers à soie c’est assez drôle. » Je n’osais plus regarder Wilfred !

Je prenais ma boîte à couleurs avec moi mais je n’ai rien fait, il pleuvait presque tout le temps.

Au revoir Jean, portes-toi bien et sois bien prudent.

J’ai beaucoup de choses à faire ces jours-ci.

Je vous embrasse bien tous les deux.

Bertha

P.S. Mrs Rhodes s’intéressait beaucoup à tout ce que je lui dis de Port-Cros, je lui ai montré mes esquisses. Elle a trois filles par son premier marriage [mariage], qui habitent pas loin d’elle. J’ai prêté la revue n° mai à l’aînée qui la trouvait très intéressante.