Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Bertha Rhodes à Jean Paulhan, 1929-05-05 Rhodes, Bertha 1929-05-05 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1929-05-05 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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5 mai

4, Blackburne Terrace,

Liverpool

Quand nous étions à Bexhill nous sommes allées à Londres pour déjeuner avec une très vieille dame. Elle était l’amie d’enfance de tante Annie. Quand elle est allée à l’école pour la première fois, elle nous a dit, elle [était] une petite fille, têtue, passionnée, prête à dire des sottises à tout le monde. Ma tante un peu plus âgée qu’elle, y fut [était] déjà. Elle était calme et bonne, elle avait des [soins ? elle prenait soin de] pour sa petite amie. Tout le long de leur vie, elles n’ont jamais eu un malentendu.

Maintenant elles ont le même âge n’est-ce pas ? Peut-être même elle [devancera ?] ma tante sans doute parce qu’elle est bien vivante. Les personnes [mortes ?] ne peuvent pas vieillisser, peut-être peuvent-elles avancer dans autres sens, mais vieillir, non.

Mon grand-père qui avait 30 ans quand il est mort, a trente ans encore selon dans ce monde, autrement il n’est plus mon grand-père. Mais cela n’est pas l’histoire que j’allais te raconter.

Mrs McL.S. est jolie encore, ses yeux brilles [brillent], ces [ses] cheveux sont tous [tout] blanc et bien coiffées [coiffés], une robe de la soie noire, des boucles d’oreilles et deux longs colliers en (je ne trouve pas le mot c’est une pierre verte) avec un bouquet de fleurs mauve à son corsage. Elle a causé toute l’après-midi. Elle nous dit : « j’ai reçu ce matin encore une lettre d’Emmie ». Nous avons demandé qui est Emmie et pourquoi écrit-elle ? La voilà lancé [lancée] sur son histoire. Emmie est l’ancienne domestique de sa sœur. La sœur de Mrs McL.S. est morte il y a quelques années aussi [ainsi que] leur frère qui était Amiral de la flotte bien estimé. Ils habitaient Londres, chacun avait un appartement. Emmie était plusieurs années avec sa maîtresse qui en mourant lui a légué une pension et en plus £100. Emmie a tout de suite donné plus que la moitié de l’argent à des œuvres de bienfaisance, puis avec le reste elle a acheté 257 (je crois que c’est le nombre) livres de chants religieux avec notations. On a cru qu’elle allait en doter un temple quelque part. Mais non, elle disait qu’elle les prendra avec elle quand elle ira au paradis, que les saints là-bas ne savent pas chanter, qu’il leur tarde qu’elle arrive avec les livres. Elle faisait les journées, je crois, comme lingère chez des particuliers pendant quelque temps. Un jour, elle disait tout-à-coup que Dieu le Père lui avait défendu de travailler plus qu’un jour par semaine. Elle lui obéit. Son père était jardinier dans les grands jardins botaniques à Kew. Elle est allée raconter à sa famille ses expériences. Son père l’écoutait tranquillement puis il dit : « Je crois ma fille que tu es maboule ». Elle n’est plus allée voir sa famille qui d’ailleurs ont déménagés. Elle aussi a quitté Londres, elle est allée au bord de la mer, là elle a acheté une petite maison. Elle habite seule mais elle songe à louer une de ses chambres à une jeune ouvrière. De là-bas, elle écrit souvent à Mrs McL.S. Quand elle ne reçoit pas de réponse assez longue, elle lui dit tout son mécontentement. Elle dit que son ancienne maîtresse et le frère de celle-là viennent de Paradis pour la voir, qu’elle les amène promener avec elle en autobus. Ils sont allés aussi avec elle au cinéma pour voir « Ben Hur ».

Mrs McL.S. lui dit « j’espère que vous leur avez payer [payé] leurs places parce qu’ils n’ont pas d’argent avec eux ? ». « N’ayez pas peur, elle répond, cela s’est bien arrangé. » Elle dit que longtemps Dieu la faisait souffrir à cause de sa maîtresse parce que celle-là avait avant de mourir permis au médecin de lui faire quelques petites piqûres de morphine, cela lui a valut [valu] un peu de repos car elle souffrait affreusement.

Emmie dit maintenant que c’est fini Dieu ne lui punit plus à cause des péchés de sa maîtresse mais à cause de Mrs McL.S. parce que c’est elle qui a sugérer [suggéré] au médecin de faire les piqûres et encore pour d’autres péchés semblables.

Récement [récemment] elle dit qu’elle a des nouvelles de Paradis, que toute la famille de Mrs McL.S. sont là et qu’il leur tarde qu’elle les rejoins [rejoigne]. Mrs McL.S. répond dignement qu’elle espère que quand le moment vient qu’elle doit quitter cette terre elle sera prête et contente mais qu’en attendant elle ne compte faire aucune démarche dans cette direction. Je disait [disais] que je n’aime pas l’idée que Emmie peut venir voir Mrs McL.S. pour tâcher de lui persuader de partir avec les livres de chants. Mais la dame ne craint rien elle dit que Emmie croit que Dieu lui a défendu d’aller la voir.

J’ai prié à Mrs McL.S. de demander conseil au médecin qui a soigné sa sœur et qui a aussi soigné Emmie autrefois. La sœur disait que Emmie était drôle parfois. Je souhais [souhaite] que rien de désagréable n’arrive à cette dame qui a 87 ans.

3.

J’ai été très occupée à nettoyer mon appartement cela sera bientôt fini j’espère.

Je pense souvent avec plaisir que je te reverrai à la fin de juin.

En attendant, j’ai une visite à faire qui ne m’amuse pas beaucoup.

Je tâcherai à te causer encore bientôt.

J’embrasse Germaine, je doit [dois] lui écrire aussi.

Au revoir Jean.

Je t’embrasse

Bertha