ÉCOLE DU MONTCEL
ENSEIGNEMENT SECONDAIRE DES GARÇONS
JOUY-EN-JOSAS
(S. & O.)
TELEPHONE 30
DIRECTION
[1927]
merci de m’avoir communiqué la lettre de Gide. Je ne croyais pas que cet homme fût si vindicatif, et si homme de lettres. Sa lettre est haineuse. Ce sont de vérittables insultes, qu’il m’adresse. M'accuser d’ingratitude, de reniement et presque de malhonnêteté, parce que j’ai dit sur les F.M. [Faux-Monnayeurs]Ce que je pense être la vérité ! Je n’ai pas besoin qu’il me rappelle ce que je lui dois. Mais quoi ? Voudrait-il que je l’en paie par des flatteries ou des compliments de commande ? Vraiment, me prend-il pour un de ces jeunes gens de bonne volonté qui, à chacun de ses passages à Paris, vont quêter son opinion sur la température ? Est-ce là toute l’estime qu’il a pour moi ? Quand ai-je fait figure de complaisant ? Comment ne voit-il pas que si je l’admirais moins, je lui ferais moins de reproches ?
J'ai relu l’article incriminé. Il est possible que je ne sois pas adroit, mais je ne tiens pas à l’être avec les gens que j’aime, ou que j’admire. Aujourd’hui encore, il n’est aucun des termes de cet article, que je ne sois prêt à soutenir. Je ne le regrette qu’autant que G. [Gide] en a été blessé ; mais je regrette surtout, et amèrement, que G. [Gide] soit blessé par une opinion critique sincère. J'avais une autre opinion de lui.
« Blessé ». J'ignorais que Gide pût être blessé par un article de moi, et même qu’il s’en souciât, et aussi qu’il se souciât de moi en quoi que ce fût. J'ai eu pour cet homme (je dis pour cet homme et non pas seulement pour son oeuvre) une affection que j’ai la naïveté de croire assez rare. Libre à lui de l’avoir traitée négligemment. Mais qu’il ne vienne pas maintenant se dire « blessé ». On ne peut être blessé que par des gens auxquels on n’attache quelque importance.
Vous me dites « Je désirerais vraiment beaucoup que vous vous réconciliez. » Je me reprocherais de ne pas obéir à un souhait de votre part. Mais est-ce moi qui me suis fâché ? Comment aurais-je l’audace d’être fâché contre André Gide ! Si loin de Gide que je puisse aller, je garderai pour son oeuvre (puisqu’il m’empêche de le faire pour sa personne) les mêmes sentiments que j’eus jamais. Et, qu’il se rassûre, je serai toujours le premier à dire ce que je lui dois, comme je l’ai dit jusqu’ici. Afin de ne pas risquer de le blesser, je me garderai d’écrire quoi que ce soit sur lui. Quant à lui « offrir le retour », cela veut dire sans doute faire un article d’excuses. Non.
Si enfin l’animosité d’André Gide y peut trouver satisfaction, je m’interdirai toute collaboration à la nrf.
Une remarque. Contrairement à ce que prétend A.G., je ne lui ai nullement donné du « grand écrivain » dans l’article en question. Sur ce point encore il défigure mes sentiments et jusqu’à mes paroles à son égard.