Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1928 Arland, Marcel (1899-1986) 1928 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1928 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
IMEC, fonds PLH, boîte 92, dossier 095001 – 1928.
Français
[1928]
Mon cher ami,

Pour Et vous…, c’est ma faute. Je m’étais désintéressé des nécessités de la publication en revue. Du reste, si j’en juge d’après les corrections que j’apporte aux épreuves, et le temps que me prennent ces corrections (je corrige en moyenne un placard par jour), il eût été très difficile de faire paraître en octobre.

Il faut que vous me disiez, le plus rapidement possible, si vous pensez encore publier ce fragment, et quand, et si c’est dans un ou dans plusieurs n°, car la date de publication du livre est subordonnée à la publication de ces fragments.

G.G. [Gaston Gallimard] pensait le faire paraître au début de novembre. Je crois que ce sera impossible ; et puis je serai ainsi mêlé aux histoires Goncourt. Je me demande s’il ne vaudrait pas mieux publier mon livre en mars ? Je veux lui donner ôter toutes les imperfections que je pourrai. Donnez-moi, je vous prie, votre avis.

Voici ce qui en a été pr [pour] mon voyage. Je vous ai parlé d’une dame hollandaise, avec qui j’ai fait quelques traductions l’an dernier. Elle me fit assez rapidement avertir que je ne lui déplaisais pas, (je vous demande pardon de le dire avec si peu de formes ; mais vous verrez que je ne sors pas brillant dans l’histoire). Ce fut le principal motif, pour lequel je fis mine de ne rien comprendre. Elle me disait que les romanciers,

voire psychologues, étaient bien naïfs ; je l’approuvais. Puis nous allames en Hollande, et ce fut charmant, car elle avait suffisamment à faire de veiller à l’auto, de me montrer les curiosités, de me faire connaître quelques écrivains… Sans doute, il lui arrivait de me prendre bien souvent la main ; mais j’étais libre de penser que les Hollandais sont gens expansifs. – Elle me fit promettre de voyager avec elle cet été, en France. Sans doute se méfia-t-elle de ma promesse, car elle m’écrivit peu après qu’une jeune fille voyagerait avec nous, qui avait grand désir de me voir et que je serais moi-même heureux de connaître. C'était en juillet, je lui écrivis (à la suite d’autres histoires ennuyeuses) que je voulais avoir un été tranquille, que je n’irais pas les rejoindre, car j’avais peur de devenir amoureux de sa compagne (je regrette aujourd’hui cette grossièreté ; le plus fort, c’est qu’alors je voyais là non de la grossièreté, mais la plus grande marque de confiance). Elle me répondit que tous les hommes étaient des idiots, et que je ne faisais pas exception ; puis, que je vinsse pourtant les rejoindre, qu’elle n’avait qu’un seul désir, c’était que Jotjke (la jeune file) et moi fussions heureux. J'hésitai longtemps ; j’avais grand’envie de voir le massif central, un peu de voir Jotjke ; les « autres histoires ennuyeuses » s’étant soudain aggravées, j’allai un beau matin chez vous.

Or Jotjke était fiancée, et près de se marier. Le voyage fut infernal. On me mit dans l’impossibilité de recourir à mon refuge habituel : l’incompréhension.

On me posa nettement des questions. Jamais plus qu’alors je ne parlai de montagnes et d’art antique ; – vainement. Il faut songer à Joseph et à Hippolyte : vous comprendrez ce voyage. Il y avait des repas, où nous n’échangions pas un mot ; où la dame se levait brusquement et nous laissait là, Jotjke et moi. Parfois, tandis que  en auto, elle lâchait le volant, riait comme une folle et criait : « Si je voulais !... » Je menaçais chaque soir de reprendre le train ; prières, promesses – c’était ridicule et navrant. Jotjke et moi étions devenus tout de suite amis ; je lui donnais des conseils pour la conduite de son futur ménage ; elle me questionnait sur Proust. Notre conductrice déclara un matin que nous nous tutoierions tous ; Jotjke et moi le fîmes immédiatement, et sans la moindre gêne ; je ne pus jamais dire tu à cette dame. Elle allait dire à Jotjke de se méfier de moi, que je n’avais pas de coeur, que je voulais simplement jouer avec elle (Jotjke) ; puis venait me dire de ne pas croire à l’amitié de Jotjke, qui n’aimait que son fiancé. Un matin je ne vis plus la jeune fille ; on me dit qu’elle avait pris le train pendant la nuit. (Une lettre d’elle m’attendait à Varennes ; c’était notre compagne qui lui avait demandé comme un service de reprendre le train pour La Haye). Nous étions alors au Puy ; je m’emportai si bien, que le surlendemain, j’étais à Paris.

Je suis extrêmement content de votre projet de donner une étude chaque mois ; pour vous, bien entendu, d’abord, mais aussi pour la revue. Il faut que vous

songiez qu’ainsi, vous serez très utile à la revue ; cela vous fera persévérer dans ce projet. – Sans doute, on vous trouvait dans chaque n°, mais indirectement, parfois très indirectement. J'ai souvent regretté qu’on ne vous y entendît pas parler nettement, et je ne suis pas le seul ; des lecteurs, qui sont en pas dehors du monde littéraire, se sont souvent étonnés de ne pas vous entendre. Il me semble que c’est une sorte de devoir pour vous.

« M. Arl.[Arland] semble conclure au bienfait du catholicisme... » ; c’est idiot, mais cela m’ennuie un peu (même si on remplace catholicisme par christianisme). Il peut s’agir pour moi de sympathie (il peut), non d’utilité, non de vérité.

Mon père, faible de santé, était revenu à Varennes après le collège, s’était marié (ma mère est d’origine paysanne, mon père, bourgeoise), a vécu pauvrement, et est mort à 29 ans d’une maladie de coeur. Je l’ai à peine connu, sinon par certains papiers de lui, que j’ai retrouvés, très fins, encore que très voltairiens.

votre ami m.a.