[1928]
nrf
Y
J'ai lu et relu votre « Introduction ». Elle est d’une belle clarté (rassurez-vous, ce n’est pas cela qui frappera d’abord, au contraire.) Le problème est nettement posé, et dans toute son importance. (Vous avez bien fait d’ajouter la page que vous me signalez). Ce chapitre, tel que vous le publiez, – dans Commerce ! – excite, mais ne satisfait pas l’intérêt. Vous me direz qu’en volume… Êtes-vous bien sûr de n’avoir par trop fait de votre livre un « traité de méfiance » ? J'ai hâte de lire l’oeuvre entière. –
Peut-être votre dernière page est-elle trop schématique, trop rapide, par rapport aux pages précédentes.
Je vous signale, 2 pages avant la fin, le mot seulement trois fois répété en 10 lignes, et surtout l’expression il est, qui agace la troisième fois. L'alinéa qui suit : « Il est des crimes si odieux... » me semble d’ailleurs un peu indiscret.
Je ne doute pas que votre entreprise puisse être une grande chose. Il me semble que le grand danger contre lequel elle doit se prémunir, c’est de se voir taxer d’ingéniosité.
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En publiant dans la revue un article élogieux sur le Traité du style, pensez-vous la faire louer de son indépendance? J'estime que G. G. [Gaston Gallimard] ne devait pas publier ce livre, par égard pour les écrivains attaqués par Aragon ; j'estime, pour la même raison, qu'un article approuvant ce livre ne devrait pas être publié dans la nrf...
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J'ai lu Niels Lyhne ; je ne l’aime pas beaucoup. Cela me semble le chef-d’oeuvre selon le coeur de Jaloux. Je n’en parlerai pas (ou, si personne n’en parle, j’en parlerai après une seconde lecture, en octobre).
Je ne parlerai pas de Faillite. C'est un louable effort de Bost ; mais c’est toujours médiocre.
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Je parlerai de J'adore, non qu’en parler m’emballe, mais pour éviter qu’on ne le débine ou qu’on ne l’exalte systématiquement.
Je n’ai pas dit que les Chardons du Baragan fussent le meilleur livre de P-I. [Panaït Istrati] ;
Prévenez-moi de votre séjour à Paris. Vous viendrez sans doute seul ? Je suis content que vous preniez de longues vacances. Je voudrais bien passer 2 ou 3 jours à Port-Cros. (Port-Cros est le seul endroit où j’aimerais vivre pendant un an). Mais je me suis laissé aller, très à la légère, à d'imprudentes des promesses qui engagent mes vacances.
– En hiver, pendant une semaine, j’avais confié mon chat Boum à Malraux. Hier, sa femme et lui me l’ont demandé en mariage pour leur chatte. Ces deux esprits observateurs ne s’étaient même pas aperçu que Boum était « lui-même » une chatte. D'ailleurs, eût-il été chat, j’aurais refusé ; la chatte de Malraux est vaniteuse, molle et sans fantaisie.
A Paris, près de la porte de St Cloud, devant les usines Renault, on se déshabille dans la rue et on se baigne (la Seine forme une petite plage). Je le fais ces jours-ci (hélas ! non sans orgueil).
– J'ai connu un garçon auquel il suffisait d'adresser deux mots pour lui faire perdre toute vanité, tout sérieux, toute pudeur de soi. C'étaient : bourrache fusible. Il avait, un jour, en classe, pris la bourrache pour un poisson, et définis : fusible comme une chose en forme de fusil. Dnas ces deux mots que lui assénaient ses camarades, dès qu'il était pris de quelque noblesse, il y avait - il y eut peut-être - de quoi en faire une loque.
– Et un homme, marié, qui s'était aperçu que le seul moyen de faire rire sa femme, d'en couper les silences moroses, son l'ennui, la lassitude de lui, c'était de faire le pitre - et qui le faisait, prenait des airs d'enfant, chantait d'une voix fausse, se cognait exprès aux portes, d'abord pour la rendre contente, puis pour avoir la paix, puis par habitude (et déjà ces singeries ne servaient plus à rien, qu'à la faire mépriser par cette femme).
– Etc.
Votre ami
m. a.