Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1935 Arland, Marcel (1899-1986) 1935 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1935 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
[1935] Cher Jean,

Il suffit que tu me dises que je me suis trompé, pour que le je croie.

Je voudrais pourtant t’expliquer ma réaction.

D'aussi loin que je reprenne mes souvenirs (ceux qui sont nets), j’y trouve, des sortes de crises périodiques, qu’il me faut bien appeler « morales ». C'est à dire 1°) un malaise, un mécontentement, parfois un dégoût de moi, le sentiment que je gâche, que je perds ma vie 2°) le besoin d’en sortir et la recherche de ce qui peut me « sauver ».

Cela se traduisait, enfant et adolescent, par des examens de conscience, des règles de vie etc. Cela s 'est, depuis lors, un peu apaisé, parce que j’ai travaillé, convaincu que mes livres étaient de ma vie et que ce pouvait être par eux que ma vie me mécontenterait le moins.

Mais un livre fait, bon ou mauvais – surtout si je le vois bon – rien n’est résolu, il faut repartir, avec, de plus en plus, le sentiment que ces départs sont comptés.

Est-ce de la morale ? J'entends par morale non pas une science, mais une recherche dont l’essence est de ne pas avoir de fin, qui ne peut jamais satisfaire, qui ne peut sans doute amener à rien, mais à laquelle il faut pourtant se livrer.

Si donc c’est de la morale, quand tu viens me dire : « les moralistes sont gens inutiles et cruels », je l’admets (j’admets surtout « cruel », et j’admettrais puérils, égoïstes, vaniteux, agaçants ; 'ademts moins « inutiles » - mais la question n’est pas d’être utile, c’est d’obéir). Mais quand tu ajoutes : « Je ne les aime pas », comment veux-tu que je ne me sente pas blessé ?

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Je suis très content que tu aies « un peu le sentiment » que je suis « fatigué de notre amitié ». Content parce que c’est faux, mais aussi parce qu’il m’arrive de te prêter ce cette même sentiment fatigue.

Je ne crois pas avoir eu, depuis que nous sommes amis, un sentiment envers toi qui ne relevât de l’amitié. Sans doute, je rêve parfois d’une baguette magique, par laquelle je ferais de toi un êter parfait. Mais enfin....

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Non, je n’ai aucune nouvelle des romans de Breuil. Mais je prendrais, je crois, un grand intérêt à la lire. Le connais-tu ?

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J'ai entendu Noces, hier, au Trocadéro. Cette merveilleuse chose m’a paru vieillir sans bonheur. Il est vrai qu’elle était massacrée. Stravinsky et Poulenc étaient au piano, Poulenc, très amusant. - Entendu par T.S.F une admirable messe de Mozart ; je ne manquerai pas de le dire à Marcel Henry.

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Je ne ferai pas de chronique le mois prochain, mais les notes ou notules sur Deberly... J'ai reçu Vallès ; ce sera pour Juin. - Romain (Jules) vient au Montcel dimanche : on y joue Knock.

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Tu as raison quand tu dis que paraître dans une collection spéciale serait vite agaçant. Mais je ne songeais non pas moins au plaisir de paraître parmi les auteurs choisis qu’au plaisir de voir Gallimard perdre un peu moins sur mes livres.

Je t’embrasse

Marcel