Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Fernand Baldensperger à Jean Paulhan, 1936-08-14 Baldensperger, Fernand (1871-1958) 1936-08-14 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1936-08-14 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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Le 25 février 1958 Cher Monsieur,

Mon père, le Professeur Fernand Baldensperger, est mort hier à Paris et sera enterré jeudi à Saint-Dié.

Je me permets de vous envoyer, ci-joint, quelques notes qui vous permettront, si cela vous est possible, de rappeler ce qu’ont été ses activités essentielles.

Veuillez recevoir, cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

Pierre Brive

FERNAND BALDENSPERGER

Fernand Baldensperger vient de mourir, à l’âge de 86 ans. Né dans les Vosges, à Saint-Dié, où fut baptisée l’Amérique, il se montra, durant les cinquante années qu’il consacra à l’enseignement supérieur, un artisan efficace et étonnamment modeste du rapprochement intellectuel de la France avec tant d’autres pays.

Il avait fait ses études à l’école primaire et au collège de Saint-Dié, puis à Paris, au lycée Louis le Grand. Agrégé à vingt-et-un-ans, il entra directement dans l’enseignement supérieur, après avoir fait son service militaire au 26e de ligne, à Nancy.

Sa carrière universitaire ne fut interrompue que par la guerre de 1914, au cours de laquelle il obtint la Croix de guerre, puis se vit chargé de mission en Scandinavie (1916) et aux États-Unis (1917-1919, Université Columbia, à New-York) : il fut professeur à la Faculté des Lettres de Nancy (1894-1900), de Lyon (1900-1910), de Paris (1910-1935), détaché à l’Université de Strasbourg (1919-1923).

Chaque année, il était appelé à l’étranger : tous les pays d’Europe, l’Extrême-Orient, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud connurent ses cours et ses conférences, dont la littérature comparée était le thème essentiel. En 1935, il fut demandé par l’Université Harvard, à Boston, et y resta jusqu’en 1940. Il fut alors nommé à l’Université de Californie (Los Angeles) et ce fût là qu’il attendit la fin des hostilités.

Lorsqu’il rentra en France, il tint à rester à Paris, pour être près de la Sorbonne, près surtout de l’Institut de Littérature comparée et de la revue qu’il avait fondée en 1921 avec l’un de ses plus glorieux élèves, Paul Hazard.

C'était cela qui comptait avant tout pour lui : que devenait cet édifice dont il avait été la clé de voûte pendant cinquante ans ? Du monde entier, fidèles à la générosité affectueuse de leur maître, d’anciens élèves lui donnèrent jusqu’aux dernières années de sa vie cette immense satisfaction : la littérature comparée continuait, s’affirmait, progressait.

« Goethe en France », « Orientations étrangères chez Honoré de Balzac », « Le Mouvement des Idées dans l’Emigration française », « Études d’Histoire littéraire », sont les ouvrages de base pour l’étude de ces problèmes. Et bien d’autres œuvres essentielles, des milliers d’articles, ne sauraient faire oublier que Fernand Baldensperger, grand humaniste, fut également mêlé à la vie musicale, à Lyon notamment, et qu’il se délassait de son travail écrasant en écrivant des poèmes ; ceux-ci parurent sous le pseudonyme de Fernand Baldenne, raccourci de son nom qu’employaient ses amis, parmi lesquels George Clémenceau, Maurice Barrès, l’ambassadeur Jules Cambon.

Des décorations, bien sûr (officier de la Légion d’honneur, des ordres de maints pays), l’honorariat de quantité d’Universités, l’Académie des Sciences morales et politiques, plusieurs académies étrangères, mais le titre auquel il tenait certainement le plus, était cette fidélité de ses anciens étudiants, plus durable et plus profonde que toutes les étiquettes officielles.