Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1955 Arland, Marcel (1899-1986) 1955 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1955 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

[1955]

Samedi

Cher Jean,

Bien ; s’il en est ainsi, je me suis trompé. Je pouvais m’y tromper : les deux notes de Pomerand m’ont été remises en juin ; ton avis était de les publier après corrections ou coupures ; le mien était non. J’ignorais presque tout de P. [Pomerand] ; je n’avais pas envers lui le moindre sentiment hostile ; bien plutôt, j’étais prévenu en sa faveur, puisque c’est toi qui le proposais (je le suis toujours, pour qui que ce soit, dès que tu le proposes). Mais ces deux notes m’ont paru, non seulement mauvaises – haïssables. Haïssables par la hargne, la méchanceté, l’ignorance et la mauvaise foi tout ensemble, la suffisance. Je l’ai dit ; j’ai fait lire ces notes à Fr. Cl. [France Cloquet] et, je crois, à Duvignaud comme des exemples de notes méprisables. J’étais persuadé que tu avais appris à l’auteur que je m’opposais à la publication de ses notes. Quel est aussi bien l’auteur qui, ne voyant pas paraître des notes critiques, ne recevant même pas une épreuve, n’aurait pensé, au bout de quelques mois, que ses notes étaient refusées ?

Mais je t’en crois, j’en crois P. [Pomerand] et je me résigne à penser que sa note des Lettres N. [Lettres nouvelles] ne relevait que d’un strict jugement critique.

Laissons P. [Pomerand] ; voyons plus large. Tu m’as écrit dernièrement qu’il fallait craindre que la revue, par excès de bon sens, ne devînt ennuyeuse. Je le pense aussi. Mais que proposais-tu comme remèdes exemplaires ? Céline et Etiemble.

Sur Céline, je t’ai dit ce que j’avais à dire.

Etiemble, c’est différent, et je sais que sa collaboration nous est utile. Mais quel que soit l’intérêt de ses articles, on y sent toujours des querelles privées, une inspiration égoïste, un combat intéressé. Même dans le dernier article que tu m’as remis ; s’agit-il de la pensée chinoise ? Il s’agit essentiellement de Claude Roy.

Nous ne ferons pas une revue avec de tels sentiments. Nous n’irons pas, sur de tels exemples, demander à nos jeunes collaborateurs de se dévouer à une belle cause.

*

Je ne change pas de propos en te répondant au sujet des chroniques – en particulier de la chronique des romans. Cette chronique, je n’avais et n’ai aucune envie de l’assumer. Je trouve que Dom. [Dominique] s’en acquitte bien, souvent fort bien. Oui, je crois nécessaire qu’elle continue. Mais nous parlions d’un travail d’équipes, d’un effort commun. Or ni toi ni moi ne pouvons à la fois diriger la revue, lire ou parcourir tous les livres nouveaux, faire un choix, répartir. Nous ne le pouvons pas à nous seuls. Le résultat, c’est la fantaisie et la pagaïe.

*

C’est en vain que nous appellerons à nous de plus en plus de jeunes écrivains. Nous ne ferons pas une revue jeune. L’essentiel manque, qui est la foi et le dévouement.

Rien de plus révélateur que les réceptions du mercredi, où, pour deux ou trois « contacts » utiles, tout le reste n’est que parade et temps perdu. Une dérision.

… Peut-être suis-je injuste. Peut-être influencé par d’autres poids que celui de la revue. Il n’est presque rien aujourd’hui qui ne se traduise en moi par de l’angoisse.

Je t’embrasse

Marcel