Je trouve ton mot de vendredi en rentrant de Brinville. Mais non, sois-en sûr, ton absence ne m’apporte aucune charge, puisque tout va bien à la revue et que j’y peux travailler à mon aise. Je suis heureux que tu puisses achever ta P.M. [Peinture Moderne] ; mais tu devrais aussi songer à prendre de vraies vacances, ne serait-ce que pour passer un meilleur hiver.
A Brinville, j’ai commencé ma chronique sur Duvignaud ; ce n’est pas facile, mais je dirai ce que j’en pense, même si D. [Duvignaud] doit en être fâché. C’est d’ailleurs un sujet de chronique très intéressant.
J’ai terminé Salluste ; et commencé les Histoires de Tacite. Les Histoires ne valent pas les Annales, mais sont, par rapport à Salluste, une excellente transition. J’en suis charmé. A vrai dire, tandis que je trimballe Tacite de St Romain à la Revue ou à Brinville, lisant deux ou trois pages au réveil, deux ou trois au coucher, parfois une au bureau, parfois une demie dans la rue – je me sens redevenir collégien, mais collégien par choix et par recours, peut-être un peu par vice.
- Je t’ai parlé du P. [Père ] chartreux que connaît Borgeaud. T’ai-je dit ceci ? Comme Borgeaud s’émerveillait de la haute vie spirituelle que permet le couvent, le Père hocha la tête, puis évoqua un souvenir. C’est un vieux moine, qui, à force de rigueur, de piété et de méditation, passait pour un saint ; il mourut ; on ouvrit l’armoire de sa cellule : à chaque rayon, sous les vêtements et le linge, entre eux, derrière eux, ou dans des boîtes de fer ou de carton, jusqu’en des enveloppes – il y avait une formidable provision de morceaux de sucre, qu’il avait, pendant des années, amassée, morceau par morceau, pris au réfectoire, dans la crainte que le sucre ne vînt un jour à manquer.
et supposons que le saint moine, au fond, n’ait pas aimé le sucre ?
Je t’embrasse