tu m’écris : « Songes-tu que cela fait déjà quatre années que nous travaillons ensemble, sans jamais nous être fâchés ? - Au contraire (enfin, j’espère) »
Je l’espère aussi. Il y a eu des moments de malaise, après quoi nous nous retrouvions mieux (enfin, j’espère). À présent, je voudrais te dire ceci. J’ai le sentiment, à la fois sourd et pénible, que cela ne va pas très bien entre nous depuis quelques semaines, mettons depuis ton retour du Midi. Il se peut que j’aie d’autant plus ce sentiment, que je dois faire face, chez moi, à une existence assez dure. Mais précisément, je ne trouve point dans notre amitié une compensation, une aide ; au contraire. Un peu plus de solitude, c’est tout, et de questions sans réponse.
Il y a beaucoup et trop de silence entre nous. Et quoi dans ce silence ? Je m’interroge en vain. J’ai l’impression que tu es plein de reproches à mon égard. Il se peut que je mérite ces
Même notre collaboration à la revue me semble troublée. Il est difficile de citer des faits. Je pourrais dire que depuis quelques temps il suffit que j’émette une idée, une proposition, pour que tu prennes une position contraire. Si cela continue, je me tairai, et me contenterai d’un travail mécanique ; je ne saurais être trop modeste. Je commence à me sentir un étranger dans le bureau de la revue.
Il se peut que cela tienne – mais seulement pour une part – à l’action de Fr. Cl. [France Cloquet]. Elle a toujours été – je ne dis pas toujours consciemment – destructrice. Mais quand Fr. [France] essayait de m’indisposer contre toi, ou contre Dom. [Dominique] j’étais trop sûr de moi, à cet égard, pour rien redouter. À présent qu’elle sait qu’elle ne peut compter que sur vous, la manœuvre se développe contre moi. Il n’est pas de jour que je ne la sente, et que Fr. [France] ne m’en donne les preuves, jusqu’à l’insolence. Elle ne serait vraiment satisfaite, et tranquille, qu’en me voyant quitter la revue. Je la comprends et l’excuse presque, au nom de cette fausseté qui lui est propre, et
Je répète que je n’explique pas tout par cela – loin de là. J’explique beaucoup de choses par les reproches que tu crois être en droit de me faire et que tu ne me fais pas, par un sentiment jaloux de ton infaillibilité et de ton autorité, par certaines erreurs fondamentales que tu fais sur moi. Car s’il est possible que je te connaisse mal, tu me connais plus mal encore. Simplement cette méconnaissance est chez toi sans danger ; elle est pour moi très pénible.
Je pense que ce tu es et ce que tu fais – sans te combler d’aise, je le sais – ne te déplaisait pas. Ce que je suis et ce que je fais me deviennent parfois intolérables.
Je t’embrasse