Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre de Marcel Arland à Jean Paulhan, 1958 Arland, Marcel (1899-1986) 1958 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1958 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
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[1958]

Cher Jean

Moi non plus, ce n’est pas aux livres ou articles que je songe. Là-dessus, avec quelques petits écarts, nous avons toujours été et serons toujours d’accord. La maladie de Germaine est atroce, je le sais, et si j’ose rarement t’interroger, j’y pense chaque jour. Le courage, le dévouement et la patience dont tu fais preuve me semblent admirables. Je ne tiens pas à faire une surenchère d’infortune. Je voulais dire que la maladie de Domin. [Dominique], qui à tout instant remet tout en débat, en vain débat, nous a nerveusement épuisés, Janine et moi ; que nous vivons presque constamment en crise, dans la crainte du pire, les discussions, les reproches, l’impuissance même à nous aider l’un l’autre.

- Tu me dis que je ne suis guère porté aux confidences. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup d’hommes qui plus que moi souhaitent en faire, qui aient plus que moi besoin d’une confiance donnée et reçue. Je pourrais te répondre que tu n’y sembles guère porté toi-même (le plus souvent, c’est par d’autres que j’apprends telle ou telle chose qui pourtant te touchent de près). Nous avions décidé voilà 1 ou 2 ans de déjeuner régulièrement ensemble ; si cela n’a pas duré, ce n’est pas ma faute. Peut-être pas tout à fait la tienne non plus ; mais précisément j’hésite à faire des confidences que l’on ne me demande pas, je crains qu’elles tombent mal, je crains d’ennuyer ou de peser. Je le crains d’autant plus que tes propres soucis sont graves. C’est pourquoi j’hésite à te parler de Dominique.

Quant à Fr. [France], tu te trompes une fois encore. Jamais je ne t’ai dit qu’elle « n’avait jamais compté pour moi ». Je t’ai dit que je ne l’avais jamais aimée, selon le sens que je peux et dois donner à ce mot, je ne suis certes pas sans faiblesses ! Mais je ne peux être vraiment attaché qu’à un être que j’estime, et je ne peux estimer qq. [quelqu'un] qui soit faux.

Et je ne t’ai pas parlé, dis-tu, des suites de la démarche que j’avais faite auprès de G.G. [Gaston Gallimard] C’est que tu les as connues en même temps que moi, en regardant, devant moi, ton bulletin de salaire de décembre. J’ai pensé que si G.G. [Gaston Gallimard] (sans d’ailleurs me répondre, comme il me l’avait promis) avait fait augmenté mes appointements de 20.000 fr comme il l’avait fait pour Dom. [Dominique], c’est qu’il n’avait pas fait moins pour toi. Et puis j’attendais que nous nous revoyons un peu plus intimement qu’à la revue.

Bref, il n’est pas une question qui, venant de toi, ne soit la bienvenue. Si je ne la devance pas, je t’ai dit pourquoi. Mais je n’en conçois pas une que je ne souhaite d’entendre et à laquelle je ne souhaite de répondre.

Je t’embrasse

Marcel

« Je ne doutais point de ton amitié », écris-tu. Mon amitié n’a certes point changé. Je me plaignais seulement que les manifestations de la tienne eussent changé. Sans doute en d’autres conditions, j’y eusse été moins sensible, mais ai-je tout inventé ?