Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1932-01-11 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1932-01-11 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1932-01-11 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français

11 janvier 1932 Paris – 1 rue C. Delavigne

Mon cher ami, 

Je crois bien vous avoir dit, il y a quelques mois, en vous remettant le manuscrit des Clavicules de Daumal : « Une partie doit en paraître dans Commerce (ce qui n’a pas eu lieu) et une autre dans l’Anthologie des Philosophes (ce qui vient d’avoir lieu) » ? Je suis très ennuyé moi aussi que nous nous soyons laissés devancer, et vous avez raison de m’accuser de ne pas avoir rappelé ce danger qui nous menaçait. Je vous confesse humblement que l’Anthologie des Philosophes m’était sortie de la mémoire, d’autant que les livres annoncés chez Kra paraissent généralement au moment où l’on a cessé d’y croire. Que faire ? Peut-être pourrez vous trouver un passage encore inédit, et découpable. Daumal, que vous verrez ces jours-ci, pourra nous donner un avis utile à ce sujet.

Il faut en effet parler des 2 Nos de la revue surréaliste qui viennent de paraître. Ils manifestent la conversion totale du groupe surréaliste au matérialisme, si bien que le mot « surréaliste » devient vide de sens, inutile et gênant. En d’autres termes, la doctrine surréaliste me paraît avoir vécu. Je ne vois plus en quoi les « surréalistes » se distinguent de n’importe quel adepte marxiste, ou du moins il me semble qu’ils ont l’ambition de ne plus s’en distinguer. Dans ces conditions, il m’est très difficile de placer en tête de mon article des considérations sur cette évolution, puisque mon article traite de problèmes que les surréalistes se posaient en somme avant d’avoir pris parti aussi nettement. Vous sentez combien mon article deviendrait peu logique, peu construit, si j’agissais de cette manière. D’autant qu’au cours de l’entée en matière, je préviens le lecteur que je sépare la question des « recherches philosophiques et poétiques » de la question « action sociale, adhésion à une doctrine de l’action « encore très vague à ce moment dans le groupe surréaliste. Je crois qu’il y aurait un parti excellent à  prendre, et que je me permets de vous suggérer : prévenir par une note (placée en renvoi) que mon article a été écrit antérieurement à la parution des 2 Nos en question, spécifier que ces 2 Nos marquent officiellement un abandon de certains points de la doctrine surréaliste par ceux qui persistent à se dire surréalistes » au profit de idées de Marx-Engels, et que cet abandon mérite une étude particulière que la N . R. F. se propose de donner dans un des prochains Nos (les termes de cette note seraient à arrêter entre nous, naturellement). Ensuite vous pourriez demander à René Daumal de vous écrire la chronique en question (passage de l’idéalisme au matérialisme, et évolution de la doctrine surréaliste), à la place des Clavicules déflorées par Kra ! Une étude de ce genre ma paraît s’imposer, car personne (et surtout aucun surréaliste) n’a eu le courage de l’entreprendre, du moins à ma connaissance.

Je ferai tout mon possible pour vous voir Mardi, mon cher ami. Je vous serre les mains.

A. Roland de Renéville