Je crois bien vous avoir dit, il y a quelques mois, en vous remettant le manuscrit des Clavicules de Daumal : « Une partie doit en paraître dans Commerce (ce qui n’a pas eu lieu) et une autre dans l’Anthologie des Philosophes (ce qui vient d’avoir lieu) » ? Je suis très ennuyé moi aussi que nous nous soyons laissés devancer, et vous avez raison de m’accuser de ne pas avoir rappelé ce danger qui nous menaçait. Je vous confesse humblement que l’Anthologie des Philosophes m’était sortie de la mémoire, d’autant que les livres annoncés chez Kra paraissent généralement au moment où l’on a cessé d’y croire. Que faire ? Peut-être pourrez vous trouver un passage encore inédit, et découpable. Daumal, que vous verrez ces jours-ci, pourra nous donner un avis utile à ce sujet.
Il faut en effet parler des 2 Nos de la revue surréaliste qui viennent de paraître. Ils manifestent la conversion totale du groupe surréaliste au matérialisme, si bien que le mot « surréaliste » devient vide de sens, inutile et gênant. En d’autres termes, la doctrine surréaliste me paraît avoir vécu. Je ne vois plus en quoi les « surréalistes » se distinguent de n’importe quel adepte marxiste, ou du moins os marquent officiellement un abandon de certains points de la doctrine surréaliste par ceux qui persistent à se dire surréalistes » au profit de idées de Marx-Engels, et que cet abandon mérite une étude particulière que la N . R. F. se propose de donner dans un des prochains Nos (les termes de cette note seraient à arrêter entre nous, naturellement). Ensuite vous pourriez demander à René Daumal de vous écrire la chronique en question (passage de l’idéalisme au matérialisme, et évolution de la doctrine surréaliste), à la place des Clavicules déflorées par Kra ! Une étude de ce genre ma paraît s’imposer, car personne (et surtout aucun surréaliste) n’a eu le courage de l’entreprendre, du moins à ma connaissance.
Je ferai tout mon possible pour vous voir Mardi, mon cher ami. Je vous serre les mains.