Château d’Anzon
Noizay. Indre et Loire
(adresse jusqu’au 16 septembre)
J’éprouve un vif regret d’avoir dû quitter Paris, sans pouvoir passer, mercredi soir, vous serrer les mains à la N.R.F. J’ai dû effectuer d’innombrables courses, et entretemps tenir compagnie à une amie souffrante. Tous mes instants furent pris, et j’ai simplement pu déposer à votre nom ma note sur Fargue, et celle sur Aragon.
La première est trop littéraire pour mon goût, mais D’Après Paris ne se prête guère qu’à la constatation d’un charme. Il n’y aurait eu un Vulturne comme centre de réflexion. Fargue est un poète que l’on admire et attaque pour de mauvaises raisons.
J’attache plus d’intérêt à ce que j’ai tenté de dire à propos de Persécuteur persécuté. Il n’y a là sans doute qu’une approximation, et je ne me reconnais que le mérite d’avoir posé un problème. Si j’ai cru pouvoir indiquer le sens d’une solution, cette recherche mérite d’être approfondie. (J’attends avec curiosité votre avis, et ceux des q. q. rares esprits dont les paroles portent pour moi une signification.)
J’aimerais aussi que vous m’écriviez vos réflexions sur la réponse que j’ai faite à votre dernière lettre écrite à propos de nos entretiens de Châtenay. Si vous admettez que mon jeu de mot sur le terme « connaissance » n’était qu’une non une source de pensée, veuillez me dire en quelle estime ou mésestime vous tenez cette pensée.
Vous sentez d’autre part que Daumal et moi ne pouvons admettre le ton de Benda, puisqu’il s’agit du ton amateur contre lequel nous nous élevons à priori. La quiétude des orientaux qui ont opté pour une métaphysique inhumaine, et l’inquiétude des occidentaux qui ont adhéré à une métaphysique de consolation, démentent d’ailleurs ses postulats. Enfin ses conclusions nous font retourner à la psychologie, et constituent en somme une défense involontaire et indirecte du « roman » !
Je n’ai pas reçu les livres de poèmes de Breton, Eluard, Tzara qui viennent de paraître aux Cahiers libres, soit qu’ils aient été envoyés chez Sima, soit que leurs auteurs me boudent… Que valent ces poèmes ? S’il vous était
Je serai de retour à Paris du 16 août au 1er sept. Je repartirai ensuite pour une dizaine de jours. Peut-être me verrez-vous à Port-Cros malgré les cerfs volants, mais je n’en suis pas certain car mes projets sont vagues ; j’hésite entre le Midi, la Bretagne, l’Espagne… D’ici là, je travaille pour moi, devant une campagne assez pure mais chargée d’orages. Depuis mon arrivée, la pluie tombe.
Avant mon départ j’ai rencontré Artaud dont les angoisses particulièrement aiguës m’ont ému, et Jean Wahl dont l’éclectisme m’a déçu. (Le matérialisme le séduit parce qu’il accumule les problèmes, et que seuls les problèmes lui paraissent exaltants, etc.)
Veuillez ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, mon cher ami, et me croire tout à vous.