Votre lettre reçue ce matin m’a fait plaisir. Votre silence me faisait craindre que mes précédentes lettres ne vous soient pas parvenues, et c’est pourquoi j’ai fait recommander hier la lettre que je vous ai écrite au sujet de mon article sur Aragon. J’ai eu un moment d’humeur assez vif en constatant les fautes d’impression qui le défigurent, car j’avais particulièrement soigné cet article. Si ce mouvement est passé avec trop de violence dans ma lettre, ne m’en tenez pas rigueur, et comprenez-moi.
Je vois assez souvent notre ami Henri Michaux que j’aime infiniment. La fréquentation de l’homme éclaire l’œuvre. Il a apporté de son voyage une merveilleuse allure spirituelle.
Je suis heureux de savoir que vous travaillez. J’attends avec beaucoup d’impatience la parution de votre travail, et le peu que j’en connaisse déjà me paraît soulever les plus graves questions.
Je ne saisis pas comment vous pouvez établir que l’absolu est notre objet d’expérience, et cela à partir de la méthode scientifique. Il me semble que la critique de Kant reprend toute
Je me rencontre tout à fait avec vous au sujet du titre que notre ami Artaud choisit pour son théâtre. Depuis plusieurs jours déjà je lutte pour qu’il renonce à ce titre Théâtre de la cruauté, qui me paraît très limité, et susceptible des équivoques les plus faciles. Je crois qu’il se laisse séduire par la sonorité du mot, et sa puissance, cependant un peu frêle, d’étonnement et de scandale. J’aurais préféré Théâtre du devenir, ou Théâtre de l’Idéalisme Magique, ou Théâtre Alchimique.
Ne pensez-vous pas que les vers de François Alibert sont indéfendables à tous égards ? Nullité totale de la pensée, et maladresse incroyable de la forme (accumulation d’adjectifs, de mots creux et pitoyables, petit ron-ron plein de ratés).
Les poèmes de Breton me paraissent eux aussi, bien mauvais, dans le genre opposé, et il faut que Cassou ne puisse plus trouver d’autres terme pour écrire que celui de « chef d’œuvre » pour oser encore une fois l’employer ici !
Vous ne me verrez pas à Ports-Cros cette fois-ci, mais il est à peu près certain que l’an prochain j’affronterai avec courage les cerfs-volants, les couleuvres, et les lézards transparents.
Tenez-moi votre promesse de me donner bientôt de vos nouvelles, et croyez moi, mon cher ami, bien vôtre.