Vous avez bien fait de vous moquer un peu de moi. Je reconnais que je suis à l’égard des fautes typographiques dans l’état de certains malades mentaux qui se conduisent normalement dans la vie, mais devant lesquels on ne peut prononcer par exemple le mot fusil sans qu’ils prennent leur interlocuteur à la gorge. Une coquille me donne à l’estomac un coup d’autant plus violent qu’elle parait dans un texte dont
1° Je ne crois pas qu’il soit correct d’écrire « de grands récits, des histoires d’amour, des revendications morales lui furent confiés ». Il me semble qu’il faut confiées puisque nous nous trouvons en présence d’un sujet masculin et de deux féminins. N’êtes-vous pas de mon avis ?
2° Enfin pour la fameuse addition qui m’a tant révulsé (non à cause du sens qui restait inchangé, mais à cause de la platitude et de la rupture rythmique que cette addition apportait à la phrase), j’aimerais que vous fassiez passer ée (et non fermé) je me suis pris à songer que » (et non à méditer, songeant que…) Je reconnais toute la justesse de votre réflexion touchant l’incorrection probable de l’expression : « méditer que… ». je ne saurais trop vous dire à quel point je suis d’accord avec vous pour honnir les fautes de français. J’en fais souvent dans mes lettres écrites au courant de la plume, et même quelquefois dans les articles. Ce n’est jamais exprès, croyez le, et vous avez bien raison de vous insurger contre elles. Elles signifient parfois l’ignorance et très souvent la distraction, c’est-à-dire toute la dignité de l’homme !
Je ferai bien volontiers la note sur les derniers livres de Michaux. Je viens d’en parler avec lui. Je vais m’y mettre dès maintenant.
Vous avez dû recevoir le Manifeste d’Artaud. Il me l’a fait lire, et j’ai été vivement frappé de la réussite qu’il constitue. Le style et les idées sont admirables. Enfin la teneur du texte m’aide à accepter le titre th. de la Cruauté dont elle étend le sens. Si Artaud parvient à réaliser une tentative théâtrale dans cette direction, ce sera bien passionnant !
J’ai été ému par votre phrase sur l’amitié, car j’attache à ce sentiment une importance extrême. Je voudrais que mes précédentes lettres aient surtout servi à vous éclairer sur mon mauvais caractère, et par conséquent à connaître mieux l’un de vos amis. Mais que vous ne m’en conserviez aucun ressentiment.
Veuillez mon cher mai ne pas m’oublier auprès de Madame Paulhan, et me croire bien vôtre.