Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1932-12-03 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1932-12-03 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1932-12-03 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
3 décembre 1932  Paris

Mon cher ami 

Rien ne m’est plus pénible que de ne pas tenir parole, et pourtant je crois bien que c’est ce qui m’attend vis-à-vis de vous en ce qui concerne mon étude sur Jarry ! J’ai commencé à étudier l’Amour absolu, Les Minutes de Sable, César antéchrist, œuvres que je n’aurais jamais pu réussir à me procurer. Je reste stupéfait devant la profondeur et la complexité de la pensée d’Alfred Jarry. Certes j’aurais pu en 8 jours (et je n’ai qu’une heure ou deux par jour pour écrire et lire) vous donner une note sur un livre assez simple, ou sur un auteur que j’aurais au préalable entièrement pénétré. Il n’en est pas de même pour Jarry. Je voudrais vous donner sur lui une note complète et sérieuse, et non pas un compte-rendu superficiel auquel je ne veux même pas songer ; je voudrais aussi parler du livre de Paul Chauveau sur Jarry, que vous venez de me faire parvenir ce dont je vous remercie infiniment. – Il faut absolument que je relise Ubu-roi que je n’ai pas, et que vous pourriez peut-être me prêter ? Bref je viens vous demander de ne pas m’en vouloir si je vous apporte une étude sur Jarry pour le N° de Février, au lieu de vous la donner pour celui de janvier. Croyez bien que si je ne tiens pas parole, c’est parce que je me trouve matériellement empêché de la tenir à cet égard. – Je passerai mardi vers 5h à la Revue. Si vous pouviez m’apporter Ubu-roi ce jour-là, mon travail s’en trouverait avancé.

Je viens de recevoir les Vases communicants de Breton. Je pense que vous-même, et Roger Lecomte les avez reçus aussi ? Je me réjouis de lire la note de Lecomte sur ce livre. J’espère qu’il n’épargnera pas les ridicules que je vous avais signalés de vive voix. Il est d’ailleurs absolument d’accord avec moi sur ces points de détails.

Votre dernière lettre contenait une phase que je voudrais entièrement saisir. Je vous avoue ne pas comprendre ce que vous entendez lorsque posant que je ne dois « d’après (mon ) principe aimer qu’un poème qui soit aussi bien exprimable sur le plan du langage que sur celui de la pensée » vous concluez que je m’écarte de ma méthode en n’aimant pas la poésie de F. Ponge. La pensée de Ponge existe-t-elle ? quant à son langage, je ne vois qu’une préciosité verbale dont le but me paraît non de suggérer, mais de cacher. Cacher l’absence de pensée.

J’aimerais que nous parlions ou discutions par lettre sur votre phrase (le cas F. Ponge ne servant que d’exemple) car je sens qu’il y a là quelque chose que je n’arrive pas à saisir.

La réunion des membres du Grand Jeu à propos de mon article sur Aragon a eu lieu. Audard, Delons, Maurice Henry, et Harfaux me reprochent avec violence de dire la vérité, lorsque cette vérité est susceptible de causer un préjudice à la révolution communiste. Mon devoir serait alors de prendre fermement parti pour l’erreur dans un but pragmatique. J’aurais dû faire l’éloge des poèmes d’Aragon.

Quelle tristesse de trouver une telle attitude chez ceux qui veulent nous délivrer de toute veulerie !

Veillez je vous prie transmettre ma respectueuse amitié à Madame Paulhan, et me croire mon cher ami bien cordialement votre.

A. Rolland de Renéville