Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1936-06-06 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1936-06-06 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1936-06-06 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
06 juin 1936 

Mon cher ami 

Il me semble bien que les Fleurs de Tarbes attaquent le problème littéraire dans son centre, ce qui n’avait jamais été fait. C’est dans cette absence de détour que réside notre stupeur mêlée de malaise. Tant il est vrai que nous nous cachons à nous-même très soigneusement les seuls problèmes : on ne se lasse jamais de ne pas comprendre.

J’en viens à me demander si la pérennité des œuvres nommées classiques (elles ne vieillissent pas, a-t-on coutume de dire) ne s’explique pas en effet par le fait qu’elles ne comportent pas de fleurs. Racine refaisait une tirade au cours de laquelle un vers saillait, trop coloré, trop sublime. (Ce vers pour lequel les romantiques eussent donné le poème entier.)

La flétrissure qui atteint le plupart des œuvres romantiques, symbolistes, et contemporaines s’explique à l’inverse par le foisonnement de fleurs qui s’y constate. Ces fleurs aussitôt que posées sous nos regards deviennent des lieux communs, c’est-à-dire des machines-à-penser-à-notre-place. C’est parce que l’on ne pense plus le lieu commun qu’il en est un. Sinon quelle plus jolie image que celle du tromblon qui je presse contre votre habit du grand siècle, lorsque je vous parle « à brûle pourpoint » ?

Ainsi donc mon cher ami, vous apportez dans une langue infiniment pure (Valéry s’il eut été subtil, secret, à triple fonds, eût peut-être écrit de cette sorte) une réponse éclatante à un problème qu’on osait [sic] pas se poser, celui de l’absolu dans l’art littéraire.

A bientôt

Cassilda et moi pensons affectueusement à vous deux

André