Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1950-06-30 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1950-03-17 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
http://eman-archives.org
1950-03-17 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
30 juin 1950

Mon cher Ami

Mais oui « D’une chronique miraculeuse » est un très beau titre que je vous remercie de m’offrir. Evitons les « Hommages à… »

Si vous avez de la patience de lire les 3 pages jointes, vous y verrez que celui qui fait passer des extraits de presse dans le Bulletin N.R.F. est un petit traître, peut-être bien sans le vouloir tout à fait, mais enfin un traître : détaché du contexte, ma phrase sur Claude Roy est en effet ahurissante. Lorsqu’on lit le contexte, je crois que l’on voit très bien que ma chronique était bâtie sur l’équivoque exprimée par Claude Roy lui-même à propos de son titre : Le Poète mineur, c’est-à-dire celui qui travaille en profondeur, dans les « sentiments » mais qui reste un poète de second plan. Tout mon papier reprend cette opposition et en approuve les termes. En détacher 3 mots, c’est évidemment me faire passer pour un couillon, (mot noble devenu péjoratif).

Merci infiniment pour l’article sur l’écriture de Rimbaud. Je suis stupéfait de voir que cet autre graphologue dénie que l’écriture de Germain Nouveau apparaisse dans le Ms des Illuminations !

Affectueusement à vous deux

André R de R

Extrait d’une chronique

---

Claude Roy publie un recueil de poèmes en vers réguliers sous le titre le Poète Mineur. Il a souci de placer en exergue de son ouvrage la définition que le dictionnaire nous donne du mot mineur pris dans ses différentes acceptions, ce qui lui permet de jouer sur plusieurs sens et d’entretenir une équivoque dans l’esprit du lecteur : le mot mineur désigne en effet l’homme qui travaille dans les profondeurs, tandis que l’expression poète mineur a trait à un poète de second ordre. Claude Roy nous laisse entendre de la sorte que ses poèmes sont l’effet d’une méditation sur ses problèmes intérieurs, en même temps qu’il nous les présente avec modestie. Toutefois dans une note jointe à son volume, il nous révèle de façon explicite que le premier sens de son titre a toutes ses préférences : « Les sources du dedans d’où ces poèmes tirent leur eau (peut-être leur fraîcheur) écrit-il, ne sont pourtant pas à mes yeux, mineurs au sens restrictif du mot. Mais bien plutôt au sens où les mines sont profondes. »

Ainsi que l’a pressenti l’auteur, l’on trouve en effet beaucoup de grâce et de fraîcheur dans les Nocturnes, les Bestiaires et les poèmes d’amour du Poète Mineur. Ses alexandrins sont harmonieux, et souvent soulevés par un rythme de chanson que brode un jeu très fin d’images toutes colorées de fleurs et de flammes, tandis que les cris et les pas d’une faune familière y retentissent. Toutefois l’admiration que Claude Roy professe pour Aragon et pour Supervielle le privent [sic] de se composer une langue et une mythologie qui nous eussent permis d’oublier celles auxquelles lui-même n’a cessé de songer. C'est là sans doute la réserve que Claude Roy fut le premier à faire sur ses poèmes en choisissant leur titre. Toutefois, il serait injuste de ne pas, à sa suite, apercevoir la profondeur et la sincérité des sentiments très purs qui s’y expriment. La reine des passions a pour effet de permettre à l’auteur de prendre de la distance à l’égard de ses maîtres : ses poèmes d’amour révèlent un vérittable lyrique, en possession d’un chant personnel. C'est à partir des chants dédiés à Claire que Claude Roy nous apparaît comme un poète émouvant et profond.

---