Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1951-08-31 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1951-08-31 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1951-08-31 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
31 août 1951 

Paris 11 rue Madame  (6e

Mon cher Ami 

Nous sommes rentrés hier soir après avoir passé le mois d’août à Vernon (Eure). Et en rentrant je trouve votre amicale carte et aussi votre « Petite préface à toute critique ». L’une et l’autre nous font le plus grand plaisir. Mais notre joie est hélas ! très gâtée par ce que vous me dites de la fatigue ressentie par Germaine à la suite de son déplacement ! Nous espérons que le fait de se retrouver dans son cadre familier et de retrouver le rythme habituel de sa vie la remonteront vite. En tous cas nous prenons la plus vive part à vos épreuves à tous deux, et nous n’avons à cela guère de mérite, car s’il est inhabituel à l’être humain de se mettre à la place de son prochain, la vie nous a apporté toutes les occasions d’être compréhensifs.

A Vernon, Cassilda a reçu de sa sœur une lettre qui lui a causé le plus grand chagrin, car il résulte de termes prudents et ambigus qui y sont employés par le beau-frère de Cassilda – seul soutien des autres membres de la famille – a été arrêté et déporté vers une destination inconnue, sans aucun autre motif que sa qualité d’ancien employeur. (Mais gardez cela pour vous je vous en prie, sinon ses autres parents seraient arrêtés !) Je ne sais rien du tout au sujet de Jean de Boschère. Mais je suis surpris que le Prix Nobel puisse le surprendre : il faut qu’il ait une longue habitude de l’injustice.

J’ai fait avec votre livre, ce que l’on ne doit jamais faire : je n’ai pu résister hier soir, à le commencer par le milieu, c’est-à-dire le chapitre sur Rousseaux (André). Merveilleux !… S’il avait un peu de sens (mais alors il ne serait pas A. R. [André Rousseaux]) il vous répondrait peut-être que c’est parce qu’il est incapable d’être un écrivain qu’il a opté pour la critique. Et que s’il devait en être autrement, il n’y aurait pas du tout de critique sur terre, ce dont les écrivains seraient bien navrés. Il pourrait même tenter de tirer à lui l’exemple de cet excellent expert en navigation qui n’avait jamais vu la mer. Mais là, il aurait tort, car il ne sait pas non plus comment on écrit.

Je vous parlerai de votre livre lorsque je l’aurai lu vraiment, c’est-à-dire après l’avoir pris par la première page. En attendant je voudrais que vous me disiez (si vous en avez le temps) ce qu’il faut penser de l’emploi de ne dans une phrase affirmative, et s’il faut s’abstenir absolument d’un tel emploi ou non. Je n’ai jamais été très fixé à cet égard, mais mon oreille aime le ne. Vous écrivez p. 61 : « … il était à craindre qu’un nouveau coup de mer les projetât dans les drosses du gouvernail. » Etait-il possible ou non d’écrire « ne les projetât » ? Vous avez fait exprès de ne pas le faire. Pourquoi ? Je m’excuse de vous demander ce petit conseil de style, mais il y a là une question qui m’a souvent inquiétée, lorsqu’il m’arrive d’écrire.

A Vernon j’ai pu travailler et beaucoup avancer mon livre sur Rimbaud et ses témoins.

Mon cher ami nos vous adressons à tous deux nos affection bien vives. 

André