Transcription Transcription des fichiers de la notice - Lettre d'André Rolland de Renéville à Jean Paulhan, 1951-09-19 Rolland de Renéville, André (1903-1962) 1951-09-19 chargé d'édition/chercheur Société des Lecteurs de Jean Paulhan, IMEC, Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL ; projet EMAN (Thalim, ENS-CNRS-Sorbonne nouvelle) PARIS
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1951-09-19 Fiche : Société des Lecteurs de Jean Paulhan ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l'Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)
Français
19 Sept. [Septembre] 1951 

Paris 11 rue Madame 

Mon cher Ami

Je vous remercie de votre dernière lettre, et de que vous m’avez dit à propos de l’emploi de ne dans la phrase affirmative.

Je vous envoie une citation extraite d’un livre de H.-G. Wells L’Île du Dr Moreau, dans lequel l’auteur s’efforce de mettre en scène un chirurgien qui s’efforce de transformer des animaux en êtres humains, mais n’y parvient qu’imparfaitement. Assez toutefois pour créer un poète tel que, me semble-t-il, vous l’entendez, ou craignez d’avoir à l’entendre dans la plupart des cas. Mais si la littérature repose sur une erreur, cette erreur est peut-être sacrée… un peu comme celle que Dieu a commise en créant le monde. En tous cas sans cette « erreur » nous serions privés de tout ce que nous aimons.

J’ai lu avec beaucoup de  joie et d’intérêt votre Préface. La joie pour le style merveilleux, l’intérêt pour les idées. Je ne peux encore me rendre compte de ce que sera la conclusion générale que vous serez amené à déduire de toutes vos découvertes, lorsque vous aurez achevé Les Fleurs de Tarbes II. Appliquer la méthode scientifique à l’analyse d’un phénomène qui prétend inventer à tout moment ses lois, me paraît une entreprise passionnante, héroïque, mais qui risque d’aboutir à l’anéantissement de son objet. Après tout pourquoi pas ?

Une seule remarque au passage : en assurant que si l’enfant invente une image pour désigner une chose, c’est qu’il ignore le mot qui lui est réservé, il me semble que vous faites bon marché de ce qu’on nomme la « mentalité primitive ».

Peut-être pourrait-on également vous taquiner en vous faisant remarquer que vous considérez comme hors de la critique la position dualiste au regard de laquelle la chair et l’esprit, le mot et la pensée sont des entités tout à fait séparées, bien que devenues inséparables. Évidemment Rimbaud paraît avoir opté pour une position inverse lorsqu’il écrit : « Toute parole étant idée, le temps d’un langage universel viendra » (je cite de mémoire).

Mais moi je ne vous taquinerai pas à ce propos, parce que je ne sais plus du tout qui a raison.

Nous partons tout à l’heure pour Vendôme (Loir et cher) Hôtel du Lion d’or, où nous resterons sans doute jusqu’au 30 septembre. Je viens de terminer au Palais de Justice les 15 jours de vacation qui m’étaient dévolus, et je dois maintenant aller rendre visite à mon oncle paternel dans cette petite ville balzacienne.

Pendant notre séjour à Paris nous avons reçu la visite de Michaux qui a voulu voir les toiles de Cassilda. Il m’a paru vraiment sincère en les admirant beaucoup, et en insistant sur leur originalité, ne pouvant les rattacher à une source quelconque. (Cassilda ignore elle-même d’ailleurs sa source, mais assure seulement qu’il s’agit de peinture dirigée.)

Nous serions heureux de savoir que Germaine est remise de la fatigue due à ses déplacements. Nous pensons bien à vous deux, et vous adressons notre affectueux souvenir.

André

Cassilda est bien heureuse car elle a appris que son beau-frère avait été relâché, ce qui est un vérittable miracle. Mais tout arrive !