26 mai 1953
Mon cher Ami
Nous vous remercions bien vivement de nous avoir adressé La Preuve par l’étymologie qui m’a d’autant plus passionné qu’elle touche à l’un des centres moteurs d’une certaine attitude que vous avez relevée chez les poètes – voire certains philosophes. D’autre part votre ouvrage touche au problème si grave (si l’on admet qu’il existe) de la formation du langage et de l’écriture… Vous soutenez un point de vue. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que mes tendances vont vers un autre moins raisonnable (à première vue) mais qui peut prendre lui aussi les apparences de la raison. Tant il est vrai que nous sommes ici encore au cœur d’un domaine fuyant. J’avais même commencé par vous écrire une lettre très longue, dans laquelle je m’amusais à vous soumettre quelques objections. Puis j’ai pensé qu’il y avait là de ma part bien de la présomption, et qu’après tout je ne ferai peut-être que vous importuner, sans aucune nécessité, puisque vous savez très bien que nous ne pouvons ici remuer qu’un monde d’apparences et de probabilités. Là où la science déclare forfait, nous ne pouvons nous fier qu’à notre tempérament. C’est que vous faites, et que j’aurais fait si je vous avais expédié ma lettre de six grandes pages ! Je n’en retiens donc que la très profonde admiration que j’éprouve pour la forme dans laquelle vous vous exprimez et qui me reste, vous le savez, un délice.
Cassilda et moi vous adressons à tous deux nos affections
André